(leeron) This place felt like a tomb. Maybe it was mine.

Trois semaines s'étaient écoulées depuis la vive altercation sous le toit du manoir Alden. Trois semaines où, après s'être comporté comme le dernier des connards, Lee n'avait donné aucun signe de vie à la mère de son futur enfant, se réfugiant dans un mutisme prononcé et vivant tel un ermite. Trois semaines ou l'ancien militaire avait décidé de rayer simplement de sa vie la policière blonde. Il n'avait jamais pris de ses nouvelles, jamais appelé ou essayer de savoir comment se comportait l'allemande par le biais d'un collègue de travail. Rien. Pas le moindre geste. Pourtant, il aurait peut-être dû s'excuser d'avoir ainsi débarqué un beau matin pour venir foutre le bordel dans sa vie, mais le sudiste s'estimait avoir été dans son bon droit, et regrettait parfois de ne pas avoir fait plus. Vivant reclus sur son voilier, son quotidien se résumait aux quelques rares séances de rééducation pour son épaule, suivi généralement d'une soirée trop arrosée afin de profiter d'un repos salvateur. Cela lui avait déjà valu quelques problèmes, puisque le flic s'était retrouvé interné et placé sous observation quelques jours après une beuverie dantesque. Parfois, il prenait le large ou se défoulait durant une longue séance de tir en centre-ville. Mais aujourd'hui, ce matin, il était frais comme un gardon et n'avait même pas consommé d'alcool la veille. En tout cas, pas autant que d'habitude, pour la simple et bonne raison qu'une de ses séances de kiné avait lieu dans la matinée, et que le vétéran voulait éviter d'ajouter une observation de la part du personnel soignant dans l'hôpital dans un dossier pourtant déjà chargé. Lunettes de soleil sur le nez pour cacher les valises qui siégeaient sous ses yeux, Lee pénètre dans le hall climatisé de l'hôpital d'un pas décidé. A force, il finit par connaître les couloirs du Mercy par cœur, et avance vers les ascenseurs dont l'un paraît bientôt partir. Harper accélère le pas :  « La porte, s'il vous plaît ! » s'écrie-t-il alors qu'une main sort pour arrêter la fermeture de cette dernière.  « Mer..de » lâche-t-il enfin alors que son intention première était de remercier la divine providence. Alors que ses yeux se posaient sur une Cameron au ventre encore plus arrondi, Lee se dit qu'il aurait peut-être mieux fait de prendre le prochain. Sans plus attendre, il se retourne, ne gratifiant l'allemande que de la vue de son dos et appuie sur le bouton de l'étage du service de rééducation. A travers ses verres fumées, il ne peut s'empêcher de lancer des coups d'oeil vers le panneau métallisé qui renvoie des reflets de la jeune femme. L'ambiance est lourde, tendue, presqu'orageuse alors que l'ascenseur qui s'était élancé s'arrête brutalement sa course entre le deuxième et le troisième étage. Les yeux du flic s'écarquillent, et essaient de s'habituer à l'obscurité naissante qui avait suivi la panne d'ascenseur, avant que l'éclairage d'urgence ne prenne le relais. Harper roule des yeux, maudit tout ce qui peut se maudire sur cette terre, son esprit envahi d'injures. Tout, plutôt que de rester une minute de plus avec la furie derrière lui. Lee actionna le bouton d'alarme, attendant vainement une réponse. Foutu karma...

Les deux flics ne pouvaient rester indéfiniment dans un silence plus pesant, alors l'allemande attaque la première, probablement à cause de ses origines, et assène un violent coup dans le dos du sudiste. Lee a mal au crâne, a chaud et n'est définitivement pas d'humeur à se battre, surtout face à Cameron, et encore moins un combat perdu d'avance. A la limite, le patrouilleur aurait préféré affronter l'homme de la policière, au moins le deuxième round aurait eu plus de saveur et nul doute que l'ancien militaire aurait laissé moins de chance à son adversaire. Depuis ces trois semaines, il avait eu tout le temps et tout le loisir de ressasser les derniers évènements, en particulier le moment ou il avait retrouvé l'allemande en compagnie du pompier. Le simple fait de repenser aux coups portés lui arrachait un sourire, maigre consolation eu regard à ce qu'il avait perdu. Mais le flic, aveuglé par sa colère, recommencerait sans sourciller à la moindre occasion. A cet instant, il aurait préféré être dans les bras de sa kinésithérapeute, véritable tortionnaire. Tout plutôt que de rester une seconde de plus coincé dans la cage d'une lionne tiraillée par les hormones. Harper a l'impression de manquer d'air et a la désagréable sensation de sentir le souffle chaud d'une prédatrice prête à bondir sur sa proie dans son cou. Lui qui a d'ordinaire le rôle du prédateur se sent complètement désemparé et ses nerfs passent sur l'inutile bouton d'alerte. Il n'a pas le choix, il le sait. Il lui faut faire face. La fuite n'est ici en aucun cas une option.  « J'estime ne pas avoir à me justifier. » sort-il d'une manière plus que glaciale.  « Ca ne te dit rien ? » N'étaient-ce pas là les paroles même que l'allemande lui avait servi quelques semaines auparavant ? La vengeance était un plat qui se mange froid, et ces mots avaient longtemps hanté son esprit. Le moment lui paraissait tout indiqué pour les lui sortir en pleine face. Après tout, qui était-elle pour lui faire la morale et la leçon sur son comportement alors qu'elle n'avait jamais joué franc jeu avec son ancien coéquipier ? Il lui faudrait s'en contenter. Pour l'heure, Harper n'était pas prêt de fournir plus d'explications sur son comportement, à ses yeux limpides. Elle était sortie de sa vie, et ne comptait pas à ce qu'elle en refasse partie. Après tout, elle n'avait pas perdu son temps avec lui.

Elle l'irrite. Pourquoi ici, pourquoi maintenant, pourquoi lui ? Comment l'allemande pouvait-elle lui en vouloir de n'avoir donné aucune nouvelle en trois semaines alors qu'il ne lui en avait fallu à peine deux pour tourner la page et retourner avec son ex ? Personnification à l'état pur de la jalousie, Harper maudissait Cameron d'être allé retourné chercher ce pompier alors qu'ils s'étaient promis de changer. Les paroles de la détective glissent sur lui et il tente de montrer le moins possible l'effet qu'elles ont sur lui. Il essaie de ne pas repenser à ses paroles et gestes déplacés quelques semaines auparavant. Ses poils se hérissent alors que la sueur perle à son front, l'énervement et la colère le gagnant doucement mais sûrement. Trois semaines ? Seulement trois semaines ? Harper avait perdu le fil du temps, enfermé dans une routine destructrice. Après tout, à quoi s'attendait-elle ? Qu'il lui envoie un message l'après-midi ? Qu'il après elle, la queue entre les jambes, jour après jour pour ramper à ses pieds implorant son pardon ? Il en aurait été capable à une certaine époque. Il pense même qu'il aurait été capable de tout pour elle. Pourtant, Lee ne bouge pas le moindre cil et paraît impassible même s'il bout intérieurement. Mais le couperet tombe, inéluctable. Alden le touche au cœur et ses entrailles vrillent sous la violence de ses mots. Harper sait que ses paroles sont choisies, qu'elle maîtrise le sens de chacun des mots utilisés et qu'elle sait quels effets ils auront sur le flic abaissé. Il sait ce qu'elle cherche à provoquer en lui mais l'ancien combattant n'est pas décidé à le lui donner. Pas aujourd'hui, pas comme ça.  « Félicitations au nouveau papa, alors. J'espère que son nez s'est bien remis. » poursuit-il sur le même ton détaché alors qu'un rictus invisible s'empare de ses lèvres. Lee continue d'être immobile et feint de se concentrer sur la fente des portes de l'ascenseur, qui, il l'espère ne tarderont pas à s'ouvrir pour achever ce véritable calvaire. Pourtant contraire à ses habitudes, Harper ne s'énervera pas pour elle. Ses beaux yeux et son joli minois ne lui importent plus et ne méritent plus qu'il y porte la quelconque attention.

Harper accusa une nouvelle fois le coup, rentrant sa tête dans les épaules et ses poings se serrant instinctivement jusqu'au sang. L'envie de frapper le panneau de commande de l'ascenseur le saisit, ou d'ouvrir les portes à la force des bras juste pour une petite brise d'air frais afin d'essayer de reprendre toute contenance. Alors qu'il était déjà à terre, l'allemande décide de l'achever d'un cou pbas. Alden frappe juste et vient de perdre toute forme de crédibilité à ses yeux. Lee se retourne par-dessus son épaule, et n'a pour unique réponse qu'un fugace regard noir mais qui suffit pour lui transmettre tout le bien qu'il pense d'elle à cet instant. Comment avait-il pu être aussi stupide ? Jamais il ne s'était autant trompé sur le cas d'une personne qu'il pensait pourtant connaître sur le bout des doigts. C'était bas et elle le savait. Mais lui savait qu'elle désirait provoquer une réaction de sa part. A quoi s'attendait-elle ? Que lui voulait-elle ? Elle savait pertinemment que le flic, toute tête de con qu'il était, n'oserait jamais porter la main sur elle, encore moins enceinte jusqu'au cou. Elle se savait impunie et profitait de la situation à son avantage. Sa réaction tarde à venir et il sent la méchanceté bouillir en lui. L'envie de sortir une cigarette pour calmer ses nerfs le tiraille mais il s'abstint, alors que ses mains s'engoncent dans ses poches et qu'il commence à jouer avec son briquet. D'un air nonchalant et particulièrement détaché, Harper hausse les épaules en guise de réponse, la bile lui montant aux lèvres.  « J'espère pour lui qu'il dépassera l'âge de sept ans, cette fois ... » Si elle voulait se montrer méchante et cassante, Cameron avait trouvé un adversaire à sa hauteur, capable des pires coups bas et d'une puterie de classe internationale. Il sait combien elle était proche de Tobias, et combien elle fera le lien avec sa situation actuelle. Mais à la guerre, comme à la guerre. Pas de regrets, pas de remords, pas de pitié.

Les mots de la blonde le martèlent et il ne peut s'empêcher de rouler des yeux devant le constat fait par l'allemande. C'était pourtant clair comme de l'eau roche, et ce, depuis le moment ou ils les avaient surpris dans le même lit. Son dernier souvenir avec elle avait été une promesse suite à une soirée désastreuse. La promesse d'essayer de construire quelque chose, pour le bien du petit qui grandissait dans ses entrailles mais également pour le leur. Et le flic avait visiblement été assez con pour la croire, elle et ses belles paroles. Pour lui faire confiance, elle, avait qui il avait tant partagé, des bons moments jusqu'aux mauvais. Mais maintenant, il en avait par-dessus la casquette de tout son petit cinéma. A quoi se raccrochait-elle, après tout ? Le vétéran avait pourtant été clair dans ses intentions à partir du moment où son poing s'était logé dans le visage du pompier. Le sudiste se laisse retourner sans ménagement, fronçant des sourcils sous l'effet de la luminosité blafarde sur ses yeux fatigués.  « Bravo. Je suis démasqué. Quelle perspicacité. Tu as pensé à une carrière dans la police ? » dit-il d'un ton las, l'air plus renfrogné que jamais, et ne semblant pas déterminé à poursuivre cette conversation outre-mesure.  « Qu'est-ce que tu cherches à faire ici, au juste ? Tu veux quoi, des explications ? » l'interroge-t-il du regard, la fusillant presque.  « A quoi bon ? J'marche plus, ras l'bol. On perd notre temps » fulmine-t-il en remettant ses lunettes sur le nez et en lui tournant à nouveau le dos, se remettant à appuyer sur tous les boutons en priant pour que l'ascenseur ne se remette en mouvement.

Harper ne comprend pas pourquoi Cameron insiste, mais il l'écoute dans un silence quasi-monacal. Il lui semblait pourtant avoir été assez clair dans ses propos, ce n'était ni le lieu pour en parler, ni le temps pour le faire. Les plaies du patrouilleur étaient loin de s'être refermées et d'avoir cicatrisé, et il n'était tout simplement pas prêt à s'expliquer. Le vieil ours blessé était clairement renfermé sur lui-même, sur la défensive, et ce qu'il disait ne lui ressemblait pas, et le regretterait probablement amèrement dans les semaines à venir lorsqu'il aurait le temps d'y réfléchir. Malgré tout, une part de lui semble satisfaite -même s'il s'attache à ne pas le montrer- et continue à fixer le panneau de commandes qu'il martèle frénétiquement sans aucune conséquence. Lee subit les remarques acerbes de la future mère, se contentant de rentrer la tête dans ses épaules au fur et à mesure que ces dernières tombent sur sa nuque, l'assommant à chaque fois qu'elle prenait la parole. Il y avait une part de vrai dans ce qu'elle disait, mais tout n'était pas à mettre sur le compte du quadragénaire.  « Tu, tu, tu, tu, tu … on dirait que tu n'as que ce mot à la bouche et que je suis l'origine de tous tes problèmes ... » dit-il en soupirant, énervé, avant de se retourner vers la blonde pour l'affronter. Visiblement, il était l'heure de crever l'abcès et aucun des deux n'en sortirait indemne. Harper finit par retirer ses lunettes, plantant son regard fatigué de vieux briscard dans le sien.  « A aucun moment, tu ne te dis que tu as ta part de responsabilité dans ce problème ? » Ses mains finissent par sortir de ses poches pour se planter sur ses hanches, la toisant.  « Putain, merde Cameron ! Ca fait combien de temps qu'on se connait ? 10 ans ? Presque 15 non ? Tu dois me connaître au moins aussi bien que ma mère, et pas un instant tu ne te doutais de comment j'allais réagir face à l'autre connard ? » Lee reprend un instant son souffle, cherchant un peu de contenance en laissant son regard se perdre sur une des parois métallisées de l'ascenseur.  « Tu savais très bien comment j'allais réagir. Tu savais très bien que dans l'état dans lequel j'étais, je ne laisserais passer aucune provocation. Ne te mens pas. Ne me mens pas. Et tu as laissé faire, malgré ce que tu veux en dire. » Comment avaient-ils pu en arriver là ? Comment avaient-ils pu laisser la situation s'empirer à tel point, eux qui étaient tels les deux doigts de la main, pour en venir presqu'à se détester, voire à ne plus se comprendre eux qui étaient si complémentaires.  « Y a rien à dire, Cameron. Je t'ai quitté en te promettant de vouloir construire quelque chose avec toi, à tes côtés et je retrouve après quelques jours de coma en compagnie d'un autre. Mets toi à ma place. Essaie de me comprendre, ne serait-ce qu'une seconde ? Et quand bien même vous n'auriez pas couché ensemble, comment peux-tu penser un instant que j'aurais pu réagir différemment ? Tu veux me laisser quitter ta vie ? Mais, tu m'as déjà montré le chemin ce matin là !! » conclut-il, exaspéré par la situation et par le déni dans lequel les deux s'étaient installés.

Des excuses. Aux yeux du sudiste, il était bien trop tard pour faire des excuses. Malgré tout ce qu'il avait pu ressentir pour elle, il n'était pas prêt à les accepter, encore trop meurtri par le mal qu'elle lui avait fait, se sentant idiot et coupable de s'être attaché, lui qui avait toujours revendiqué fièrement son indépendance de vieux célibataire. Il roule à nouveau des yeux et se retourne encore une fois, désireux de ne pas trop montrer tout le mal qu'il pense d'elle en ce moment. C'était trop facile. Elle ne pouvait pas s'en tirer comme ça. Bien qu'il ne désirait pas lui faire le moindre mal, une part de lui tenait à lui faire payer les conséquences de ses actes irréfléchis, voulant lui montrer ce qu'il advenait lorsque l'on jouait trop avec les sentiments des autres. C'était que l'ancien militaire avait la rancune tenace, défaut qui lui avait déjà jouer de trop nombreux tours par le passé. Mais alors qu'elle s'élance pour tambouriner contre les portes de l'ascenseur, Lee, lui, soupire et secoue la tête devant la réaction exagérée de l'allemande. Ca ne servait à rien. Après tout, ils étaient dans un hôpital, et quelqu'un s'était forcément rendu compte du léger incident technique qui les impactait. Lui aussi ne demande qu'à sortir d'ici, de prendre un bon bol d'air frais et de retrouver la tanière dans laquelle il s'autodétruit à l'abri de tout regard. Lui aussi aurait préféré éviter ce moment de gêne dans laquelle les vérités fusent, et qui ne sont pas toujours bonnes à entendre. Pourtant, la blonde avait des efforts, mais le sudiste était bien trop obtu pour le remarquer.  « Oui, je suis borné. Je suis tout ce que tu veux d'ailleurs. Mais sincèrement, Cameron, ce matin, je ne me suis jamais aussi senti humilié. » avoue-t-il enfin la cause de tous leurs malentendus : lui et son foutu égo démesuré, persuadé qu'il vaut mieux que tout le monde et que ce qu'il pense vaut parole d'évangile.  « Et tu sais le pire dans tout ça ? C'est que jamais je n'aurai cru que cela aurait pu venir de toi ... » confesse-t-il à demis mots, baissant le visage alors que l'allemande s'époumonne dans son coin. Tout ceci n'avait que trop duré, et il leur fallait en finir pour le bien de tous. Le sparadrap devait être arraché d'un coup franc. L'ours relève enfin son visage et se retourne vers elle, se saisissant de ses mains alors qu'elle s'apprête à frapper une nouvelle fois les protes de l'ascenseur.  « Arrête. » lui ordonne-t-il sèchement.  « Ca ne sert à rien. » se justifie-t-il avant de planter une nouvelle fois son regard dans le sien, ses mains ne quittant pas les siennes.  « Tout ceci ne sert à rien. Tu ne te poses pas les bonnes questions. Tu ne te les ai jamais posées. » poursuit-il sur sa lancée d'un ton sec, presque martial.  « Qu'est ce que tu veux Cameron ? C'est ça la question … qu'est ce que tu veux pour toi ? Pour vous ? » l'interroge-t-il du regard.  « Réfléchis-y sérieusement. Poses toi les bonnes questions. Fais-moi signe quand tu penses avoir les réponses, mais honnêtement, je ne sais pas vraiment si je veux les entendre ... » conclut-il, amer. Il n'a pas peur d'être déçu, ça non. Il l'est déjà.