crossed every lines / kristen

on judgement day, i'll be playing music for the rebels
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@kristen walcott

La planche se plante dans le sable, affronte le vent qui souffle une brise douce. William, il attache la planche à sa cheville, la combinaison revêtue avant de venir pour gagner un peu de temps – chaque seconde passée sur l’eau est précieuse, il n’en gaspillera aucune. Il est encore tôt, l’aube se lève tout juste, le soleil aussi et c’est parce qu’il sait que la plage est déserte qu’il vient surfer aux premières lueurs du jour. Le cadre est agréable, c’est devenu une habitude et, comme ça, il peut conquérir l’océan comme il s’empare du barreau lors de ses procès. Il y a la fusillade à l’université qui lui revient en mémoire mais il repousse le dossier dans un coin de son crâne, la planche maintenant sous le bras tandis qu’il se dirige vers l’eau. Les vagues sont belles, elles roulent et ondulent et il sait qu’il va pouvoir se faire plaisir comme ça n’est plus le cas depuis presque trop longtemps. L’eau lèche ses pieds quand il la pénètre, le froid est atténué par la combinaison et il s’enfonce, dépose la planche à la surface avant de s’y asseoir. C’est calme – tout est calme et il profite de ces instants silencieux, les yeux clos. Il est bercé, les clapotis lui rappelant qu’il se trouve là où il a toujours su trouver du réconfort et de la chaleur, là où son père le laissait tranquille quand il était gosse parce qu’il n’y avait rien à dire, sur le surf. Son cœur est tranquille, son âme, apaisée et William, il est serein. Quelques battements de bras et il appréhende la vague qui se dirige vers lui. Il compte, calcule les secondes avant de se relever pour embraser le tambour de l’eau qu’il pourfend d’un coup de planche et le voilà qui vogue sur les flots, maître incontesté parce qu’il lui semble qu’il y est seul au monde, parce qu’il a toujours été un peu seul au monde. Il remporte la bataille contre l’eau, glisse plus loin quand la vague s’éteint et retourne déjà en affronter une seconde, l’adrénaline pulsant contre ses tempes. Il n’est jamais rassasié, William, parce que rien n’est jamais assez bon pour lui et c’est avec sa hargne contre le monde qu’il s’empare de cette vague, de la suivante et de celle encore d’après avant de sauter à l’eau, de se laisser presque couler et de remonter à la surface. Goulée d’air, le voilà redevenu un nouveau-né qui respire pour la première fois et il se reprendre sa position assise sur sa planche, se laisse de nouveau emporter vers le rivage doucement. Il n’est plus seul, d’autres sont venus, d’autres se préparent sur la plage, d’autres s’élancent à l’eau. Il va devoir partager, William, mais il n’a jamais été très prêteur et il se détourne, prêt à s’emparer de la prochaine vague sans demander son reste à qui que ce soit parce qu’il a décrété qu’elle lui appartient. Mais un surfeur la lui pique sous le nez et il s’interrompt dans son geste, reçoit l’eau en pleine face, se fait propulser hors de sa planche. Battement de bras, de pieds, il fend la surface pour retrouver la planche, reconnaît l’adresse de celle qui l’a battue en rapidité. Kristen. Qui d’autre ? Elle possède une aisance reconnaissable et il attend qu’elle ait terminé pour aller la rejoindre en quelques coups. « Kris ! Je te ferai bien une remarque sur le fait que c’était ma vague mais tu l’as trop bien gérée pour que je me le permette. » Il lui flashe un sourire dont il a le secret, ce sourire si souvent comparé à celui du chat du Cheshire dans Alice au pays des merveilles mais, à la vérité, c’est que son cœur se pince et qu’il appréhende la réaction de Kristen. Il ignore la raison, il ignore même si c’est vrai, mais il a eu l’impression désagréable qu’elle l’évitait, ces dernières semaines et il est incapable de comprendre pourquoi – si c’est quelque chose qu’il a pu dire et qui l’aurait blessée ou si c’est encore un truc à la Kristen, comme la fois où elle a fui dans un autre pays. Il craint qu’elle ne le fui vraiment, il craint qu’elle ne s’échappe sans lui donner la moindre explication et qu’il ne puisse rien faire d’autre que de la voir s’éloigner, et de la perdre. « Ça faisait longtemps que je t’avais pas vue ici, l’eau te manquait ? » Une façon détournée de lui laisser l’occasion de s’expliquer – une attitude digne de l’avocat qu’il est, à manipuler les mots comme une seconde nature. Il a toujours un ton enjoué, léger, mais dans son regard traverse une lueur sérieuse et inquiète et dans sa gorge se loge une peur indescriptible.

Voilà longtemps que Kristen n’a pas foulé le sable de cette plage, sa plage comme elle aime souvent l’appeler. Grâce à un achat fait il y a un peu plus de dix ans, elle a la chance de vivre face à l’océan. C’était sa seule et unique exigence après qu’elle ait fait ses cartons suite à son divorce, retrouver l’océan. Elle avait beaucoup trop apprécié la sensation d’observer les vagues à n’importe quelle heure de la journée en habitant sur l’île des Dieux pendant un an, elle ne voulait pas perdre ce privilège. Vêtue de sa combinaison de surfeuse, encore une autre habitude qu’elle tient de Bali, Kristen fronce les sourcils face au soleil déjà brulant qui se lève sur le sud de la Floride. Depuis quelques semaines elle avait pris l’habitude de se rendre sur une autre plage à des milliers de mètres de là dans l’unique but d’éviter de croiser William. Elle avait été profondément déçue en le voyant en charmante compagnie lorsqu’elle s’était rendue dans un bar dans le centre de Miami avec Jack. Elle s’en était terriblement voulue de croire qu’elle serait celle qui changerait William le don juan, en William l’homme d’une seule femme. Jack l’avait pourtant prévenue à maintes reprises, mais elle voulait croire à ce qu’elle avait ressenti lors des moments privilégiés qu’elle avait passés avec le substitut du procureur. Grave erreur avait pensé la chirurgienne obstétricienne en le découvrant si bien accompagné. Elle n’était pas allée le voir, pour la simple et bonne raison qu’ils n’avaient jamais été clairs sur la relation qu’ils entretenaient. Au début, c’était juste pour le plaisir mais leur rendez-vous étaient de plus en plus fréquents et il n’était pas toujours question de plaisir charnel. Un cheminement relationnel qui l’avait amenée à penser qu’entre William et elle ça pouvait devenir sérieux. Elle regarde l’horizon et observe quelques surfeurs matinaux déjà présents, il faut dire que les vagues sont plutôt belles aujourd’hui. Elle s’approche de l’eau et enfourche sa planche et tandis qu’un homme lui passe devant, elle n’hésite pas à accélérer pour prendre ce qui s’offre à elle. C’est alors qu’elle entend des clappements d’eau, elle en conclu que l’homme à qui elle a volé la vague veut sa revanche mais elle tombe sur celui qu’elle aurait préféré ne pas croiser : William. Il arrive avec son sourire qui les fait toutes fondre, et par toutes, elle s’inclus dedans. Elle a envie de courir mais difficile de s’échapper sans avoir l’air idiote, assise sur sa planche au milieu de l’océan. Il lui fait un compliment sur ce qu’elle vient d’accomplir. Une flatterie est toujours appréciée, même venant de l’homme qui l’a déçue. Elle se contente d’un — Merci espérant qu’il s’en irait une bonne fois pour toute mais à en croire par les messages qu’il lui a laissés sur son répondeur il ne va pas lâcher l’affaire si facilement. Il enchaine sur le fait qu’il ne l’a pas vue ici depuis quelques temps. Normal, je t’évitais c’était ce qu’elle avait envie de lui répondre mais elle n’avait pas la force, ni l’envie de lui faire des remontrances sur ce qu’il s’était passé entre eux. Et puis, elle considérait que c’était de sa faute, jamais elle n’aurait dû penser que quelque chose pouvait se passer entre eux. — J’ai été pas mal occupée se justifia-t-elle par une réponse « bateau ». Elle espérait qu’il comprendrait qu’elle voulait qu’il la laisse tranquille en restant si évasive, elle qui autrefois, avait su être plus éloquente en sa compagnie.

Kristen lui semble distante, encore davantage maintenant qu’il se trouve proche d’elle – elle a ce regard fuyant, cette droiture dans sa posture et William, il comprend que son impression n’en était pas une. Kristen le fuit, l’évite. Il ravale une boule logée dans sa gorge comme elle lui offre une réponse des plus évasives et il la scrute, parce qu’il n’a rien d’autre à faire, parce qu’il espère peut-être qu’il parviendra à lire la raison de cette soudaine froideur chez l’obstétricienne. Mais il n’y a rien, sur ses traits, qui puisse l’aiguiller et il reste tout aussi perdu que les semaines précédentes. Il aurait sans doute pu s’en douter – après tout, il sait qu’elle a déjà fuit par le passé, qu’elle est même allée jusqu’à se terrer dans un autre pays pour ne pas faire face à une réalité trop difficile à encaisser et sans doute qu’il devrait se sentir soulagée qu’elle n’ait pas été se dissimuler en Thaïlande ou au fin fond de l’Uruguay. Une douleur traverse son regard qu’il détourne finalement, se passe la langue sur ses lèvres pourtant humides par son séjour sous l’eau. La vérité, c’est qu’elle lui manque, Kristen. Qu’il la considère comme une proche, une amie même, et qu’il a beau essayé, il n’arrive pas à trouver ce qui a provoqué ce changement d’attitude aussi soudain. « Tu vas bien ? » Il a le regard rivé sur l’horizon parce qu’il ne veut pas donner l’impression qu’il l’observe, qu’il essaie de lire en elle les émotions qu’elle refuse de lui divulguer, sans doute pour une bonne raison. William, il n’y comprendrait rien, de toute façon ; les émotions, ce n’est pas son domaine. Et peut-être qu’il devrait abandonner, peut-être qu’il devrait affronter la vague qui vient se cogner dans leurs dos, peut-être qu’il devrait abdiquer et la laisser respirer – mais ce n’est pas lui, l’acharné, lui, celui qui ne lâche rien tant qu’il n’obtient les réponses qu’il souhaite. Sa détermination à ne rien abandonner est ce qui fait de lui un si bon avocat, ce qui lui a permis de briller au tribunal à plus d’une reprise et même s’il n’est pas dans une cour et qu’il n’y a pas de jury, il ne compte pas baisser les bras. Pas aussi facilement et pas devant Kristen. « Kris, je… » Il ferme les yeux, un soupir retenu entre ses lèvres tandis que ses mains frôlent la surface de l’eau. Il ne devrait pas bloquer aussi soudainement, pas alors qu’il maîtrise les mots et leur portée, pas quand son éloquence est ce qui lui sert d’arme au quotidien – dans la vie, au boulot, il en est le maître mais en cet instant, ils lui manquent et il n’y est pas habitué. Tu me manques, qu’il voudrait admettre dans un souffle – parce que c’est vrai, c’est terriblement vrai, même, mais il ne sait pas quoi en penser, encore moins si c’est autorisé de l’avouer à voix haute. Leurs longues discussions honnêtes, son rire à la fois particulier et contagieux, l’amie qu’elle a été, lui manquent. « Qu’est-ce que tu dis ? » demande-t-il plutôt en désignant la vague qui s’approche d’eux, portée par le vent et le courant. Un rappel de leurs débuts, à se partager une déferlante pour essayer de déterminer le niveau de l’autre, ses faiblesses et ses forces. Il a vrillé ses perles brunes sur elle, la lueur de défi présente jusque dans le sourire qu’il a retrouvé parce qu’il sait charmer, William, et il espère sûrement qu’elle ne lui résistera pas.

Elle ose à peine le regarder, il a cette faculté à éveiller en elle tout un tas de sentiments qu’elle aurait aimé ne plus jamais ressentir, parce que ça fait trop mal. D’autant plus qu’il est plutôt séduisant, assis sur sa planche dans sa combinaison de surf. Ils ont ce point en commun qui les a rapprochés et cette soirée un peu trop éméchée ou Kristen pour la première fois en dix ans s’est laissée aller. Elle n’a pas regretté son choix, ils ont passé de bons moments ensemble, de très bons moments mais elle aurait préféré mettre un terme à tout ça avant que les sentiments ne s’en mêlent. William n’est pas un mec pour toi Jack arrêtait pas de lui répéter cette phrase et si au début elle voulait croire qu’avec elle c’était différent, elle a vite déchanté en comprenant qu’elle était comme toutes les autres : une croix sur son tableau de chasse. William elle l’apprécie et finalement elle n’a pas grand-chose à lui reprocher puisqu’ils n’ont jamais évoqué de relation exclusive. C’était juste deux amis qui passaient du bon temps ensemble, du très bon temps. L’espace de quelques nuits, Kristen avait pu oublier Ali dans les bras de sa nouvelle petite amie. Si elle ne s’en était pas rendue compte jusque-là parce qu’elle ne voyait plus que son ex-mari pour lui confier Sofia, travailler ensemble sonnait comme un goût de déjà-vu et les sentiments étaient remontés à la surface. William la regarde mais elle reste focalisée sur l’immensité de l’océan, elle n’a pas envie de croiser son regard de braise, celui pour qui elle pourrait oublier toute la négativité de cette fin de relation ou de je ne sais quoi. Le substitut lui demande si elle va bien. Elle n’a pas envie de faire la conversation mais elle ne peut pas non plus l’ignorer. Elle est en colère mais pas au point de le laisser avec une question en suspens. — Ça va je te remercie. elle ne lui retourne pas la question, elle veut qu’il comprenne, qu’il la laisse profiter de cet instant matinal solitaire même si autrefois elle aurait apprécié surfer avec lui au petit matin après une nuit passée ensemble. Et alors qu’il commence sa phrase, Kristen entrevoie une lueur d’espoir, va-t-il lui dire quelque chose qui changerait mais il se résigne. Elle pensait qu’ils allaient parler sérieusement, William ne doit pas être idiot, même s’il ne sait pas le pourquoi du comment il doit bien se douter que quelque chose ne va pas. Les longues semaines de silence de la part de la jolie blonde en sont le résultat. Bizarrement lorsqu’il s’agit de faire la cour ou de draguer une femme William est toujours présent mais lorsqu’il s’agit de parler sérieusement, il n’y a plus personne. Il se résout finalement à lui proposer de prendre la vague qui s’amène vers eux. Kristen hésite, elle n’a clairement pas envie de jouer les bonnes copines et de faire comme si tout allait bien entre eux. Elle se résout à descendre de sa planche pour retourner vers la plage. — Je dois être à l’hôpital dans une demi-heure. lâche-t-elle en se détournant en direction du sable de Miami Beach. C’est un mensonge, elle a sa journée de libre mais elle préfère couper court à la conversation. C’est alors qu’elle entend une voix de femme crier « au secours ». Son instinct de médecin l’amène à détourner la tête en direction de l’océan, William lui est déjà en train de jouer les super-héros et il a plongé sans réfléchir. Kristen soupire mais le rejoint. Ils découvrent un homme qui a été cogné par sa planche de surf, Kristen écoute son pouls, il est irrégulier. — Il faut le ramener sur la plage, j’aurais besoin d’un coup de main. dit-elle en regardant William. Elle avait beau avoir un petit peu de muscles grâce au surf, elle n’était pas wonder woman pour autant. William et elle tentent de ramener l’homme inconscient sur la plage. Ils sont coordonnés dans leur mouvement et réussissent tant bien que mal à allonger l’homme en question. La jeune femme qui a appelé au secours est en panique mais Kristen prend les devants elle écoute la respiration du jeune homme et commence un massage cardiaque pour évacuer l’eau qui se trouve dans le corps du jeune surfeur. Il finit par recracher l’eau et Kristen émet un soupir de soulagement tandis que les sauveteurs de la plage se joignent à eux.

Il a le cœur qui flanche devant la froideur de ses réponses, une douleur sourde qui se répercute jusque dans ses tempes. Il ne voudrait rien d’autre que de retrouver la complicité qu’ils ont pu avoir les semaines précédentes, retrouver celle sur qui il peut compter et partager ses ambitions. Kristen, elle donnait l’impression qu’elle ne le jugerait jamais mais maintenant qu’il la voit en train de fuir son regard, il comprend qu’il a eu tort. Le constat est difficile à avaler, plus encore à admettre – mais il ne peut plus nier. Peut-être qu’il devrait crever l’abcès, l’obliger à l’affronter plutôt qu’à lui tourner le dos mais William, il sait que les conversations à cœur ouvert sont son point faible et il n’est pas encore prêt à perdre Kristen pour de bon. Alors il agit comme l’enfant qu’il a toujours un peu, préfère ignorer la tension et les fuites, la froideur et la distance, et faire comme si rien n’existait, comme si rien ne s’était interposé entre eux. La chirurgienne, elle ne prend pas. Il a les épaules qui s’affaissent lourdement tandis qu’il l’observe fendre l’eau pour rejoindre la plage. Il retient son envie de cogner sur sa planche, de cogner sur l’eau, de laisser la frustration exploser parce qu’il sait que ça ne l’aiderait pas – parce qu’il n’est pas sur un ring et que Kristen, elle ne se laisserait pas être domptée par son accès de colère provoquée par son absence. Il le sait, il aime croire qu’il la connaît suffisamment pour en être certain. Il n’a, toutefois, pas encore dit son dernier mot et il lui emboîte le pas, plante la planche dans le sable au moment où un appel à l’aide se fait entendre et il glisse sur les talons. Des yeux, il suit le bras tendu de la jeune femme paniquée et aperçoit rapidement une tête qui surgit hors de l’eau pour un bref instant. L’instinct prend le pas sur la raison ou sur la réflexion et il retourne à l’eau, rejoint celui qui a bien du mal à garder la tête hors de l’eau en quelques crawl. Il a juste le temps de passer un bras autour du torse du jeune que Kristen est déjà à leur côté, prête à agir. William, il opine sans un mot et ils parviennent enfin à rejoindre la plage. Il s’éloigne d’un pas pour laisser de la place et de l’air. Il a déjà oublié le surfeur, le regard rivé sur Kristen et les gestes maîtrisés qu’elle accompli. Une lueur assombrit vaguement son regard jusqu’à ce qu’une quinte de toux ne s’échappe de la victime et qu’il ne recrache l’eau venue se loger dans ses poumons. William, il s’autorise à pousser un fin soupir avant de porter le regard sur Kristen. « Beau travail. » Il n’est pas surpris, il sait son histoire, n’a jamais douté ni d’elle, ni de ses talents en tant que médecin un seul instant. Ça reste la première fois qu’il a l’occasion de la voir à l’œuvre et peut-être qu’il ne devrait pas ressentir cette pointe de fierté au fond de son estomac. Il pense, à tort quand il la voit se relever, que ce sauvetage en duo leur aura permis d’aplanir les tensions et il retient un juron avant de la rattraper, de lui prendre le bras pour la faire pivoter. L’obliger à le regarder. « Tu comptes me dire ce qui ne va pas ? Qu’est-ce qu’il se passe, Kris ? Et s’il-te-plaît, ne me dis pas que tout va bien parce qu’on sait l’un comme l’autre que c’est un mensonge. Tu ne réponds pas à mes appels, ni à mes textos, tu m’adresses à peine la parole… Si quelque chose ne va pas, tu peux me parler, tu le sais, non ? On est… » Il déglutit, relève brièvement le regard comme pour chercher le terme adéquat – mais il n’y en a qu’un qui lui vienne à l’esprit. « On est amis, non ? » Et peut-être qu’il ne devrait pas avoir l’air aussi désemparé – parce que William Montgomery n’est jamais désemparé, mais il a le sentiment que s’ils ne mettent pas de mots sur ce qui semble les tenir éloigné, alors Kristen lui échappera. Et l’idée qu’il puisse perdre une telle amie le dérange.

Un soulagement parcourt Kristen lorsque l’homme recrache l’eau de ses poumons. Elle s’occupe rarement de patients de sexe masculin puisque sa spécialité de chirurgienne obstétrique l’oblige à ne s’occuper que de femmes enceintes. Cela faisait d’ailleurs un long moment qu’elle n’avait pas pratiqué de massage cardiaque, habituée aux défibrillateurs des salles opératoires. Son cœur commence petit à petit à retrouver un battement régulier. Elle aurait eu du mal à se remettre d’une mort sur sa plage, à quelques pas de sa maison. Alors qu’elle tente de se remettre de ses émotions, William semble être en admiration face à ce sauvetage in extremis. Il la complimente en lui disant qu’elle a fait du beau travail. Il a toujours ce sourire renversant sur son visage, ça agace Kristen qui voudrait lui sourire en retour mais elle n’a toujours pas retrouvé la force d’avoir ce comportement amical avec lui. Elle se contente de hocher la tête en guise de remerciements. Les sauveteurs en mer lui témoignent leur reconnaissance et commencent à faire le nécessaire pour emmener le jeune homme au poste de secours. Il ne faut pas plus de deux secondes à Kristen pour détourner les talons lorsqu’il ne reste plus que Will et elle à l’endroit même où elle vient de sauver une vie. Quand soudain, le substitut du procureur lui attrape le bras pour l’arrêter dans sa marche effrénée. Elle se retourne de manière mécanique et plonge enfin son regard dans le sien. Elle n’a pas envie qu’il la retienne pour une énième demande qui ne fera que repousser une conversation entre les deux anciens amants, à cet instant, une seule envie la parcourt : une bonne douche chaude. William tente une énième approche, cette fois-ci bien plus radicale, empêchant à Kristen de fuir face à ses interrogations. Il lui balance qu’elle ne répond plus à ses appels, ses textos et insinue que quelque chose ne va pas. Elle soupir intérieurement mais la moue sur son visage la trahie encore plus. Et quand elle entend la fin de sa phrase, savoir qu’ils sont amis, ça la fait sortir de ses gonds. — Comme tu le dis si bien, nous ne sommes que des amis. lâche-t-elle comme l’effet d’une bombe. Elle se résout à parler à lui dire ce qu’elle a sur le cœur car elle sait que Will ne la laissera pas partir avant d’avoir une explication et quelque part, ça lui fait du bien d’enfin tout balancer à son « ami ». — J’ai cru ... elle hésite à aller au bout de sa phrase car ça serait montrer ses faiblesses et elle ne veut pas le faire tout du moins, elle ne veut plus depuis ce jour d’octobre 2009 ou elle a complètement perdue les pédales. — Putain, merde William tu passes autant de temps avec tes prétendues conquêtes ? finit-elle par dire, cherchant ainsi de la compassion, une once d’espoir dans ce qu’ils avaient ressentis en étant tous les deux. Elle met une main sur sa tête se rendant compte de ce qu’elle était en train de faire : elle se mettait à nu devant lui et ça faisait un long moment qu’elle ne l’avait pas fait. En réalité, Ali avait été le seul homme à pouvoir casser sa carapace. — Laisse tomber, c’était stupide de ma part de croire ça dit-elle en restant vague sur le sujet. Elle se résigne car pour connaître William depuis plusieurs années, elle sait qu’il n’est pas ce genre d’homme et qu’elle ne voit pas pourquoi elle aurait pu lui faire changer sa vision des choses.

Kristen est sur le point de s’échapper, il réagit par automatisme. Porté par une peur fragile, une angoisse qui lui étreint les entrailles sans qu’il ne le comprenne, il l’oblige à lui faire face. Il voudrait pouvoir deviner ses pensées, en cet instant, mais il n’a jamais été bon pour lire les gens – il est bon bluffeur, mais ne saurait pas reconnaître les tics des autres, même si sa vie en dépendait. Il n’a pas envie que les choses se terminent ainsi, entre eux ; pas envie que ça se termine tout court, en réalité. Les mots lui manquent pendant une fraction de secondes mais il est prompt à se reprendre. Et Kristen, à briser le silence. Elle explose sans vraiment éclater. C’est une colère sèche, une colère froide et William, il lui lâche finalement le poignet sous les mots qu’elle finit par lâcher. Il pourrait comprendre, là, tout de suite. Il pourrait faire le lien, noter qu’elle a insisté que certains mots plus que d’autres, lire la vague d’émotions qui traverse le regard chocolat de l’obstétricienne mais il s’y refuse. Il ne veut pas se l’admettre, moins encore l’admettre tout haut alors il fronce les sourcils, essaie de faire la connexion quand elle reprend. « Quoi ? Tu as cru quoi ? » l’encourage-t-il, l’hésitation au fond de la voix et cette foutue peur logée dans son estomac. Un nouveau silence menace de s’installer et peut-être qu’il devrait dire quelque chose, sans doute qu’il devrait agir mais il ne fait rien. Il n’ose plus. Les regards se détournent brièvement, il porte le sien au-dessus de la silhouette de celle qui lui est devenue proche, observe les premiers nageurs et travailleurs qui traversent la plage ou les trottoirs. L’accusation se porte finalement et il encaisse le coup comme s’il avait été physique. Il n’est pas certain de vouloir comprendre ce qu’elle insinue, pas certain de devoir saisir ce qui est dit – parce qu’il y a trop de risques, parce que ça implique trop de choses qui lui sont encore trop étrangères et William, il sait qu’il n’a pas l’étoffe d’être véritable chevalier. Kristen, elle n’est la première à lui faire la remarque – mais il est la première qu’il écoute réellement, la première qui parvient à le blesser en le lui admettant. « C’est pour ça que tu m’en veux ? » Ce ne sont pas les mots qu’il aurait voulu lui dire, certainement pas le ton qu’il aurait pensé adopter. Mi-abasourdi, mi-déchiré, le substitut du procureur reporte finalement son regard sur elle. Il déteste qu’elle parvienne à le faire se sentir coupable parce qu’il sait qu’il n’a rien dit qui puisse lui laisser penser qu’il voudrait davantage – il aime leur relation telle qu’elle est, il aime ce sentiment de familiarité qui s’est instauré entre eux. « Kristen, tu sais que je ne suis pas… Que je ne suis pas le genre d’homme qui peut devenir le petit ami idéal. » L’idée de se lancer dans une vraie relation l’a toujours fait se sentir piégé, enfermé. William, il aime sa liberté, ne pas avoir à se prendre la tête ou à trop réfléchir en dehors du boulot – il sait qu’il est devenu ce que son père lui a toujours répété qu’il serait. Incapable de se poser réellement, incapable de prendre soin des autres et il ne peut pas lui donner tort. Il sait qu’il serait désastreux et Kristen, elle mérite bien mieux. « Non, » répond-il finalement avec un soupir. « Je ne passe pas autant de temps avec les autres mais c’est parce que je ne les connais pas. Et, pour être honnête ? Je m’en fiche. Toi, tu me connais et je te connais et on est amis. » And I don’t wanna loose you reste bloqué dans sa gorge. Il devrait forcer les mots, les obliger à sortir mais il préfère les ravaler.

Elle savait pertinemment que cette confrontation était inévitable, qu’il fallait qu’elle vide son sac à un moment ou un autre parce que ces regards qu’ils avaient échangé, ces nuits passés ensemble, elle avait senti que quelque chose s’était produit entre eux et elle restait persuadé que Will ressentait la même chose. Elle avait l’impression de passer pour une idiote, une adolescente de quinze ans face à son premier amour. Elle n’aimait pas cette sensation qui la faisait la sentir faible face au substitut du procureur. Will c’est un ami, devenu amant de plusieurs nuits jusqu’à ce qu’elle se rende compte qu’ils n’étaient que ça même si elle restait persuadé qu’il s’était passé quelque chose de plus entre eux. Cette proximité charnelle les avaient rapprochée bien plus qu’elle n’aurait pu le croire. Je ne passe que du bon temps avait-elle dit à Jack un soir ou il l’avait surpris en train de se pomponner devant la glace de la salle de bain suite à un rendez-vous avec Will. Elle avait voulu s’en persuader mais elle avait fini par se prendre à son propre jeu et elle avait du mal à le supporter.  Elle reste impassible lorsque son ami lui demande ce qu’elle avait cru. Elle n’arrive pas à lui répondre, les mots ne veulent pas sortir que tu avais des sentiments pour moi répond-t-elle intérieurement mais elle est incapable de le dire parce qu’elle sait qu’il se fatiguerait à lui donner des excuses pourries pour lui faire comprendre qu’elle n’était qu’un passe-temps de plus parmi toutes les femmes qu’il a l’habitude de fréquenter. Le silence s’installe de nouveaux entre les vieux amis mais Will finit par comprendre en lui demandant si c’était pour cette raison qu’elle lui en voulait. Le quarantenaire semble faire semblant de ne pas tout comprendre, pourtant, Kris reste persuadée que ce n’est pas la première fois qu’il est face à cette situation. Elle ne sait pas la combientième elle est à être tombée dans ses filets mais elle s’en veut terriblement. Toute sa vie elle a fui les hommes comme Will, a commencé par Jack qui ne s’était pas caché de lui faire des avances lors du premier jours de leur internat. Pourtant, elle avait succombé inexorablement au charme de William Montgomery. Il finit par lui avouer qu’il est incapable de devenir le petit ami idéal. Elle le regarde, elle acquiesce, elle semble avoir le droit à la même excuse que les autres. — Tu te trompes Will, si tu voulais, tu pourrais tout à fait être cet homme. lui dit-elle car il s’était comporté comme tel pendant quelques temps avec elle et c’est ce qui l’avait fait succombé. C’était juste une question de volonté, l’envie de vivre une relation stable avec la même personne, tout le monde en était capable à condition de vouloir se donner les moyens. Kristen ne semblait pas être celle qui pourrai faire pencher la balance de ce côté. Il finit par lui dire que c’est différent parce qu’ils sont amis. La chirurgienne obstétricienne acquiesce, un sourire crispée apparaissant à la commissure de ses lèvres, il était clair sur le fait qu’ils étaient amis et rien de plus. Kris était déçue même si elle connait l’issue de cette conversation qu’elle avait tenté de fuir en vain. — Au moins, les choses sont claires. fait remarquer Kristen mais elle se reprend lorsqu’elle se rend compte que son ton peut paraître sec — Mais ça me va, je t’assure ! fit-elle en levant la main comme pour lui signaler que ça lui allait de savoir ou ils allaient. — J’espère que tu comprendras si je pense qu’on devrait arrêter nos rendez-vous nocturnes. dit-elle en préférant arrêter la chose qui les avaient fait basculé du mauvais côté de leur relation. Après tout, elle ne s’était jamais plainte de leur amitié et c’était mieux comme ça pour tout le monde.