to build a home | john+yashem

to build a home

john + yashem

my mother, she told me "don't be a quitter", my father, he told me he knew i was. my brothers, they told me "do what you do". my sister, she told me to do something good.

Un soupir, le premier depuis une demi-heure, Yashem qui a pris le plus grand soin de ne pas trop laisser paraître la fatigue qui naissait mais qui termine de l'atteindre en pleine fin de semaine, et l'appréhension des passages de grade qui se rapprochent de jour en jour, plus que quarante-cinq jours à tout casser avant la fin de la saison et par conséquent la sentance du niveau dans lequel il repassera son année. Une main passée contre le front pour en essuyer l'humidité, regard vers la baie vitrée de la salle de sport occupée, la villa suffisamment grande pour accueillir quelques tapis pour s'entraîner, l'achat soigneusement réinvesti vu les heures passées, et pour John enfin une possibilité de se connecter au plus timide des quatre, le regard qui se soigne difficilement des visions encore vivaces du passé. Ce sont des efforts qui restent grands, mais le chemin est encore long, l'adolescent qui revient de très loin. Ce sont les souvenirs qui entament la plupart de ses mouvements comme des parasites dont il ne pourrait pas se débarrasser, l'enfer de ne pas pouvoir se concentrer qui entame le moral et brouille sa motivation, avant de retenter à nouveau. - essaye de tenir la cible un peu plus haut, pour voir? Le geste qui se précise un peu plus, la souplesse des membres inférieurs qui n'a jamais été un problème et sur laquelle il compte bien pour gagner quelques points alors que la partie extérieure du pied atteint sans trop de difficultés sa cible, la vitesse moyenne pour préserver la main du paternel derrière la mousse de son bouclier, doutant de son efficacité à pleine vitesse. John qui a tenté lui aussi, plusieurs fois, le geste mal assuré mais définitivement du potentiel, malgré le grand âge, comme l'avait souri l'adopté. Le sujet qui n'est jamais abordé avec sérieux justement pour les réactions qu'il provoque, Yashem qui s'est promis il y a trois ans et demi déjà de ne jamais s'en lasser. Quelques répétitions le temps d'être certain d'avoir bien détaillé le geste, mais pas grand chose de plus à travailler tant que les deux ne seraient pas plus énergiques. Et une volonté de faire une pause qu'il commence à ressentir chez l'autre, dans le même temps.

- tu veux bien qu'on fasse une pause, juste le temps de boire? comme proposition timide tout en se doutant qu'elle durerait plus longtemps, sans que ça l'ennuie outre mesure, le geste rapidement lié à la parole alors que John semble consentir de la tête, le banc rapidement trouvé par manque d'envie de se servir des muscles en plein travail, quitte à ruiner les efforts précédents pour raison de confort, quitte à le faire grimacer pour peu qu'on lui fasse remarquer. - j'ai reçu un courrier de Californie, tu sais. C'était à propos de l'ancienne famille. Apparemment, les nouveaux parents de Maria lui ont mis en tête de tenter de porter plainte, et c'était un document pour servir de témoin. C'est bête à souhait, vu le temps passé, elle n'a plus aucune preuve hormis les dires de l'infirmière scolaire, à la limite. Ca fait mal au coeur qu'elle se mette dedans, elle doit avoir dix ans à tout casser, elle doit vraiment croire qu'elle aura gain de cause à cet âge là. Les preuves par le fait qui montrent à l'adolescent qu'il aurait surtout raison de ne jamais y croire, que la justice va souvent dans le sens du plus fort, qu'il aurait raison d'abandonner avant même de tenter quoi que ce soit, que si l'abus avait eu la moindre valeur, ils seraient venus avant que la situation devienne à ce point critique, les fameux sauveurs, avant qu'une smala de gamines aux couettes blondes ne viennent chouiner des mots d'une jeune mexicaine aux traits tirés. L'impression que la résignation et le fatalisme le sauveraient d'espoirs fins, alors que les dernières années lui ont toujours prouvé le contraire ; Maria qui avait intérêt à se trouver avec une famille au moins aussi soudée que la sienne pour affronter seule une administration coupable et un policier exemplaire qui avait toujours eu tous les sourires des gens du quartier.

to build a home

john + yashem

my mother, she told me "don't be a quitter", my father, he told me he knew i was. my brothers, they told me "do what you do". my sister, she told me to do something good.

Le sourire qui se dessine sur les lèvres du plus jeune quand le désormais parent commente la pause, celles qui seraient effectivement malvenues chez un individu qui disait avoir tant de peine ; John qui n'en a pas autant physiquement qu'il se le fasse penser, et dont les muscles semblent suffisamment bien accuser le coup, si l'on juge les capacités des autres artistes de son âge - et qui en veut, définitivement. La preuve d'amour la plus visible possible de l'époque où Yashem ne voulait pas encore y croire, que de travailler les mêmes exercices, se trouver une raison d'échanger là où il y aurait pu ne pas en avoir du tout. De moins s'éviter, de se comprendre un peu, construire des ponts entre deux vallées bien lointaines, et des parcours de vie en tous points différents. Le dédain méfiant qui a pris son temps, mais a fini par se transformer en amour profond ; et lui qui le montre toujours aussi mal, en se taisant et en écoutant, rarement plus, mais qui ne saurait de quelle façon se confondre en remerciements ni par quel bout commencer.  

Et John est naïf ; pas sur la plupart des choses de la vie, mais au moins sur un plan. La justice a été avec eux, miraculeusement, dans l'adoption des marmots, et le privilège de situations stables leur a épargné en apparence la voie royale en ce qui concerne leurs adoptions, sans que leur parole ait été remise en cause. Naïf pour supposer que des enfants puissent avoir une chance face aux adultes, pour qu'on puisse penser que Maria était honnête, qu'elle ne cherchait ni argent de sa partie ni histoires à raconter, pour qu'on sache l'écouter ; Maria que tout le monde a toujours rejeté malgré tout, Maria aux parents étrangers, Maria qui ne mériterait selon certaines personnes jusque pas sa nationalité. - Je ne pense pas que ce soit possible, soufflé timidement avec un sourire mince, le rêve insufflé que l'on écrase vite au sol. Il n'y aura pas de justice pour l'ancienne fratrie décomposée, et c'est comme ça. Entre un flic qui a servi pendant vingt ans puis a choisi de prendre des enfants avec lui, jamais aucune histoire, marié dans un mariage parfaitement hétérosexuel, et une gamine fille de toxicos mexicains, le juge va vite trancher, je ne lui laisse pas une chance. L'énumération qu aurait pu durer encore longtemps, mais le mal qu'il n'a pas jugé nécessaire, le tableau qui est bien saisi, qui ne peut pas se rater. Ca ne peut pas bien se passer parce que c'est Yashem qui l'a décidé, convaincu de la justice injustice, qui refuse de se faire bercer encore par les propos rassurants, sans exprimer combien il les attend.

La discussion qui se lance et qui paraît irréelle, après deux années de silence. Finalement raconter un morceau de ce qui a pu arriver, après avoir tenté de claquer si fort la porte derrière qu'il n'en restait plus que les ombres toujours aussi grandes pour dépasser du pas de cette dernière. Un genre de serpent qui rampe aux pieds des survivants, et la lumière qui n'arrive pas à les chasser, seulement à les ternir. Il avait l'air tellement normal, genre d'un mec bien, tu sais. Souriant, aidait ses voisins, donnait un coup de main de temps en temps, les profs l'aimaient bien même. Y a que quand la porte était fermée que ça finissait mal. On tentait de rester dehors le plus souvent possible du coup, là il tentait rien. Ensuite il a percuté et a commencé à mentir sur nous pour qu'on nous évite plus souvent, qu'on ne se fasse pas offrir de travail, tout ça, mais les gens lui faisaient confiance. Ils lui ont tous fait confiance. Une inspiration, le coeur en suspens. Ca ne changera pas en un procès, tout ça. Et pourtant les mots de l'adulte lui donnent envie d'y croire - de surmonter tout ça. Parce que forcément, si John et Jensen avaient été juges, ils auraient tendu l'oreille pendant toute l'écoute. Parce qu'ils avaient des amis, et que tous leur ressemblaient, sans pour autant les égaler ; l'adolescent qui les tient bien trop en estime pour les comparer. Et qu'il y avait bien d'autres personnes qui sauraient, quelque part, saisir la vérité de la bouche de la gamine - et Yashem qui sait pertinemment qu'elle aurait beaucoup plus de chances accompagnée. Elle était vraiment très futée. Et pas du genre à se laisser faire non plus, alors ça lui plaisait pas trop. Mais souvent on s'interposait et on calmait le jeu, avant que ça ne finisse mal, et parfois ça redescendait presque assez vite. D'autres fois non. C'est elle qui a tout dit un jour, non on ne pensait pas qu'on serait replacés. Mais elle a été super convaincante, et je suppose qu'elle doit encore parier dessus. L'ancien grand-frère qui a envie d'y croire, quelque part - que Maria deviendrait cette force inarrêtable qui deviendrait elle-même juge ou avocate, avec sa grande gueule et son regard d'enfant sévèrement planté, celle que l'innocence et l'espoir a jamais voulu quitter. Elle ressemblait beaucoup à Mary, les deux se seraient vraiment bien entendues. Maria doit avoir deux ans de moins, mais je ne suis pas sûr. Je n'arrive pas à avoir la notion du temps passé là-bas et on ne faisait pas les anniversaires, comme mots rajoutés, cherchant à justifier la faute que l'on ne lui reprochera jamais. Yashem qui est toujours aussi décontenancé, à la recherche de données évaporées, le cerveau qui a fait le tri et qui a tenté sans réussir de ne rien garder ; la sauvegarde mirage de l'ordinateur qui ne peut plus jamais ouvrir le dossier compromis - et les tentatives qu'il s'acharne à effectuer, sans jamais connaître de réussites. Broyées par sécurité.