() Sujet: Piège en os troubles ft. Shane Ven 14 Juin - 12:01
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() Sujet: Re: Piège en os troubles ft. Shane Sam 15 Juin - 10:04
Piège en os troubles
Une main sur le volant, Shane grimaçait en se massant le flanc gauche, regard rivé sur la chaussée. Bricoler chez son oncle garagiste avait réveillé la douleur, celle d’un mauvais coup qu’il avait reçu lors d’une séance d’entraînement au combat rapproché. La grosse blague, c’est en apprenant à contrer les frappes que je me fous en l’air. Shane réprima un bâillement. Minuit passé, déjà. Increvable dans l’action, l’ennui de la circulation fluide provoquait chez lui un effet soporifique. Il baissa la vitre pour laisser entrer l’air salé, vivifiant de l’Atlantique. Encore dix minutes de route le séparaient de sa vieille bicoque en bordure des Everglades. Une bonne douche et je me pieute. Cela faisait des années que Shane consacrait tout son temps à son travail et ses proches, sans s’accorder de vrai repos.
Un automobiliste dépassa le pickup arrêté à un feu rouge, jeta un rapide coup d’œil de part et d’autre du croisement, puis tourna à droite.
— Hé, connard ! cria Shane en glissant la tête à travers l’ouverture de sa portière. Les feux rouges, c’est pas pour faire joli !
Le conducteur leva un majeur en direction du sergent de la criminelle, puis fit rugir le moteur de sa BMW équipé d’un double pot d’échappement.
— L’enfoiré !
Le pied de Shane titilla rageusement la pédale d’accélérateur. Son pickup chargé d’outils ne faisait pas le poids à côté du monstre de puissance, mais Shane savait en tirer le meilleur parti.
À cet instant le bruit d’une sirène retentit. Une sonnerie stridente, distordue par la faible qualité du haut-parleur qui s’époumonait à la restituer. Shane s’empara aussitôt de son téléphone, qui vibrait de toutes ses forces entre ses doigts. Une seule application était réglée avec cette sonnerie particulière, celle que produisaient les alarmes des abris antiatomiques qui pullulaient au début des années 70, en pleine guerre froide. « Rétro, mais éloquent », s’était amusé le geek du service informatique qui lui avait installé ce programme d’urgence.
Sur l’écran, un point rouge clignotait au centre d’une carte de Miami. En en-tête s’affichait un nom : KENDRA TREMAINE.
Le pied de Shane écrasa la pédale de l’accélérateur, comme si sa propre vie en dépendait. Les pneus du pickup crissèrent sur la chaussée, libérant une odeur de caoutchouc brûlé. Le véhicule bondit en avant, frôla une voiture qui arrivait sur la gauche. Derrière lui, le feu passa au vert.
— Bon sang, Kendra, dans quel pétrin tu t’es fourrée ?
Shane sentait son cœur marteler sa poitrine, battre contre ses tempes emperlées de sueur.
Deux ans plus tôt, il n’aurait jamais imaginé voler au secours de l’anthropologue, sinon dans le cadre d’une intervention officielle. Incapables de tenir une longue conversation sans s’accrocher, leur présence dans une même pièce suffisait à électriser l’atmosphère. Tout s’était pourtant déroulé si vite après l’expérience traumatisante de Kendra, sans qu’aucun des deux ne s’y attende. Sans réflexion, sans jeu de séduction. Avec un plaisir insoupçonné.
Shane manœuvra son pickup entre deux camions, pressait le klaxon comme un forcené. Ne prêtait aucune attention aux appels de phare, aux invectives que suscitait son pilotage musclé. Un coup d’œil à son téléphone confirma que le signal ne changeait pas de position. Était-ce de bon augure si le portable de Kendra ne bougeait pas ? Par chance, il se trouvait à proximité lorsqu’elle avait invoqué son aide d’urgence. Delgado, le Cubain de la crim’, aurait loué le Seigneur en baisant sa fichue croix. Shane ne ressentait guère le besoin de prier un dieu : il possédait l’expérience, les compétences, et les couilles de s’en servir. Chaque mètre qui le rapprochait de Kendra augmentait sa force, sa détermination. Il ne ressentait plus aucune fatigue et se sentait prêt à dégommer une horde de salopards, s’il fallait en passer par là pour que Kendra soit en sécurité.
Bientôt la croix localisant le portable de Shane rejoignit le point clignotant. Un tunnel à l’éclairage sépulcral ouvrait devant lui sa gueule menaçante. Le flic balaya les alentours du regard, par habitude. Aucun ennemi en vue. Mais il savait que ces passages souterrains mal entretenus, parfois désaffectés, abritaient quantité de vermine. La plupart à quatre pattes, sales et puantes – les plus inoffensives. Le véritable danger provenait des zombies qui déambulaient sur leurs deux jambes, s’agglutinaient sur la chair fraîche comme des affamés. Il ne faisait pas bon de rester dans un tel endroit. Et le point clignotant restait immobile.
— Bordel. De. Merde.
Shane s’engouffra dans la bouche de l’enfer sans aucune hésitation.
* * *
— Tout va bien, m’dame ?
La main de Shane serrait la crosse de son arme de service, dissimulée à l’arrière de son pantalon. Pickup arrêté derrière lui, portière ouverte. Les phares puissants aveuglaient les toxicos, dont les yeux rougis par l’acide évoquaient des lapins surpris dans leur tanière. Le flic scruta rapidement l’intérieur du tunnel. De nombreuses silhouettes semblables à des spectres formaient deux rangs le long des parois crasseuses, décorées de graffiti sans queue ni tête. Des queues et des têtes, aussi, mais figurées de manière obscène – grotesque. Street art version défonce. Trois corps fantomatiques traversèrent le faisceau des phares, le regard absent. Un homme au physique écorché se grattait un bras veineux, piqueté d’ecchymoses violacées. Une femme d’à peine trente ans bavait sur sa poitrine obèse. Ça puait la pisse, la merde et le foutre.
Kendra remua faiblement la tête. Haut de la chemise ouverte, hématome sur la tempe, traînée vermeille coulant d’entre ses lèvres. Vision choquante, insultante. Révoltante.
Bande de pourritures.
Un junkie pointait une lame tremblante sur la gorge de Kendra, étendue sur l’asphalte couvert de crasse. Shane brûlait d’envie de le flinguer. De lui loger une balle à l’intérieur du crâne. De lui éclater sa putain de gueule de dégénéré. D’infliger le même traitement à toutes les crevures qui observaient la scène, un sourire débile aux lèvres. Un sourire libidineux, pour le costaud avec la bosse qui déformait le haut de son pantalon. Celui-ci, Shane voulait qu’il souffre longtemps avant de rendre le dernier souffle de son haleine puante, méphitique comme un pet du diable.
Shane respira un grand coup. Fixa son attention sur Kendra, seule créature de lumière dans cette antichambre de la dépravation humaine. Elle était consciente, apparemment indemne en dehors de ces légères blessures. Terrorisée, s’imaginait Shane. Kendra lui avait tout dévoilé de son calvaire. Il se jura qu’aucun de ces porcs ne la toucherait plus, quoi qu’il en coûte. Soutint son ancienne amante du regard. Lui communiqua par ce lien invisible la force et la détermination qui bouillonnait dans ses veines.
Shane dressa une dernière évaluation des drogués qui convergeaient en nombre croissant dans sa direction. Tics, tressautements erratiques, fronts luisants de sueur ; une bonne moitié aux réactions imprévisibles, capable de tout et n’importe quoi s’il brandissait son insigne. Ou un flingue.
— Écoutez, les gars. J’me fiche de c’que vous faites ici. C’est pas mes oignons. Mais j’peux pas vous laisser faire du mal à cette dame, vous comprenez ? Alors vous allez la laisser se lever, rejoindre tranquillement ma bagnole et nous laisser partir. J’peux même vous filer un peu d’argent, pour l’dédommagement. Deal, les jeunes ?
Allez, bordel de dieu, une ouverture. C’est tout ce que Shane réclamait pour mettre Kendra à l’abri.
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() Sujet: Re: Piège en os troubles ft. Shane Sam 15 Juin - 19:26
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() Sujet: Re: Piège en os troubles ft. Shane Dim 16 Juin - 19:06
Piège en os troubles
Bordel, mais qu’est-ce que j’fous.
Jamais Shane n’agissait de la sorte. Tenir la causette à des grillés du cerveau, trouver les mots capables d’infléchir l’attitude d’un barge armé d’un couteau, ce que les négociateurs de la police appelaient « parlementer » et toutes ces conneries de « méthodes douces », c’était le truc de Lex. Sa coéquipière savait y faire avec ces choses-là. Lui, son rôle, c’était de montrer les crocs. Tordre les bras pour soutirer des renseignements. Cogner les récalcitrants. Éliminer les menaces léthales. Shane excellait dans ces disciplines.
Mais ce soir, Shane était seul. Seul devant Kendra avec une lame menaçant sa gorge innocente. Et il avait la trouille – pas pour lui : le Pitbull se sentait capable de bouffer cette bande de dégénérés l’un après l’autre.
Une terrible angoisse lui comprimait la poitrine, figeait la main qui enserrait la crosse de son arme. L’angoisse de voir la pointe du couteau entailler la chair tendre du cou, faire jaillir un filet de sang avant qu’il n’explose la cervelle de l’agresseur. Avant que les débris de celle-ci n’éclaboussent, ne souillent le beau visage qu’il avait chéri de ses lèvres et qui avait déjà souffert. Hors de question que Kendra subisse un nouveau traumatisme à cause de ces petites merdes. Elle avait déjà crevé l’œil d’un sadique qui désirait sa mort ; c’était suffisamment d’horreur pour une seule vie.
Étrangement, Shane se détendit lorsque Camé number one lui renvoya un refus. Un refus qui sonnait comme la sentence d’un tribunal. La tête de Shane pivota sur le côté ; un ricanement quitta sa bouche. Si Lex avait été présente, elle aurait tout de suite compris que son vieil acolyte s’apprêtait à agir. À faire ce qu’il savait faire le mieux. Elle aurait donné ses ordres en conséquence, pour brider son dangereux partenaire ou pour l’encourager.
Mais ce soir, Shane était seul. Seul devant Kendra avec une lame menaçant sa gorge innocente. Et tout sentiment de peur l’avait quitté.
— T’as raison, connard. C’est un bijou que ce foutu rat puant, ton espèce de jumeau consanguin qui a la tremblote asphyxie de son haleine fétide. Je vous flaire d’ici, dès que vous ouvrez la gueule pour débiter vos conneries. À croire que vous avez bouffé un gâteau à la merde pour le dîner. (Shane cracha par terre.) Par contre, les gars, vous auriez mieux fait d’en rester à la coke. Parce que c’est pas un rail de poudre qui va vous remonter par les narines, mais une putain de locomotive lancée à grande vitesse.
Les yeux du drogué s’étaient écarquillés, changés en globes injectés de sang. Il siffla un juron, puis sortit un calibre .44 dissimulé sous ses vêtements. Pointa le pistolet sur Shane, axe incliné sur le côté, bras tendu comme dans les mauvais films de gangsters.
— Amateur, marmonna Shane à voix basse, qui avait relevé un autre détail essentiel. Cette nana a plus de cran et de jugeote que vous tous réunis, ajouta-t-il en plongeant les yeux dans ceux de Kendra. Comme quoi, les blondes peuvent nous surprendre en gardant la tête froide et rester immobile.
La remarque fit rire les junkies. Shane observa que l’homme couché sur Kendra avait les dents noirâtres. J’avais peut-être pas tort, pour le gâteau à la merde.
Le flic était persuadé que sa collègue recevrait le message. Derrière la peur, il distinguait dans ses prunelles l’éclat lucide de son intelligence vive. « Nous ne sommes que 88 anthropologues judiciaires agréés dans tous les États-Unis », se plaisait-elle à lui rabâcher lorsque Shane remettait ses analyses en cause. Jusqu’ici, en dépit de l’angoisse terrible qu’elle devait vivre, Kendra avait eu le courage et la sagacité de ne pas tenter un acte désespéré. Il fallait qu’elle continue, refuse de céder à la panique.
L’homme au couteau leva son visage hilare en direction de son acolyte.
Ouverture.
Prise assurée sur le canon de son pistolet, calé à l’arrière de son jean noir comme un gouffre sans espoir. Grognement. Projection, avec une force insensée, du pistolet sur le front du violeur. La cible s’affaissa aussitôt sur le corps de Kendra, la protégeant involontairement de son corps. Une vilaine trace rouge apparut entre la base du nez et la base de ses cheveux gras. Il respirait encore. Châtiment clément. Très clément pour une ordure de son espèce.
— Fils de pute !
L’autre camé pressa la détente du calibre .44. Une fois. Deux fois. Jurons de panique. Supplications. Une série de cliquetis répondit à ses appels frénétiques. Il hocha la tête en examinant l’arme, puis un éclair de compréhension traversa ses pupilles rongées par l’acide. Trop tard. Le temps que son pouce épouse la forme du cran de sûreté, le flic ultraentraîné enfermait déjà le poignet dans un étau implacable. S’emparait du flingue, qu’il jeta dans un lancer vif et précis à l’arrière du pickup. Martela la tête du tireur comme une enclume. Enfonça ses chairs gémissantes jusqu’aux ténèbres de l’inconscience. Puis Shane se baissa pour ramasser son arme. S’accroupit à côté de Kendra, l’aida à se débarrasser du corps inerte, pesant de son agresseur. Il joignit une main maculée de sang à la sienne, qu’il embrassa du bout des lèvres. Entrelaça leurs doigts poisseux.
— Pas très polis, tes nouveaux copains. Plus jeunes que les momies desséchées qui passent habituellement entre tes doigts. Tu viens peut-être de rater le meilleur coup de ta vie, jolie blonde ; ils avaient l’air raides… raides dingues de toi.
Dans ce genre de situation, il fallait dire quelque chose comme « c’est fini, je suis avec toi maintenant » ou un simple « ça va aller ». Mais entre Shane et Kendra, jamais les choses ne se passaient comme il fallait.
Le sergent de la crim’ affichait un rictus qui ressemblait à une caricature de sourire. La gueule carnassière, imposante d’un ours au milieu d’une meute de loups. Dans son élément, sûr de sa force. Il attardait son regard sombre, dénué de la plus petite lueur d’inquiétude, sur le visage de Kendra comme si le reste du monde avait basculé dans le néant. Néant dans lequel une cohorte de junkies sortaient de leur léthargie, appétit de vengeance dégoulinant de leurs babines retroussées.
— La pouffiasse et le fils de pute ont buté Ed et Johnny ! La pouffiasse et le fils de pute ont buté Ed et Johnny !
D’un geste assuré du bras, Shane aida Kendra à se remettre sur ses jambes. Ne relâcha pas la main serrée contre la sienne. Une part de lui l’intimait de conserver ce contact rassurant. Deux spectres se ruaient déjà sur eux. Shane repoussa le premier d’un coup de semelle au milieu du thorax, abattit la crosse de son pistolet sur le crâne du second. Le cogneur pivota sur lui-même afin de faire face à Kendra. Souffle haletant ; visages à un cil de l’autre.
— Apparemment, t’es pas aussi populaire auprès des autres dégénérés. Moi… j’ai l’habitude. Tu me laisses cinq minutes leur donner une correction, ou tu veux te barrer illico de cette fosse à merde ?
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() Sujet: Re: Piège en os troubles ft. Shane Lun 17 Juin - 16:21
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() Sujet: Re: Piège en os troubles ft. Shane Mer 19 Juin - 18:19
Piège en os troubles
Kendra doucha les espérances de Shane en quelques mots. Des mots hachés, expirés qui l’atteignirent en plein cœur, telle une fusée de détresse dont la flamme brûlante déchirait le voile de la nuit. Kendra n’était pas une victime comme les autres : elle lui avait confié sa douleur, ses tourments. Il avait épongé ses larmes entre ses doigts calleux, inadaptés à la douceur de sa peau soyeuse. À quelques occasions ils avaient partagé la chaleur – le plus souvent torride – de leurs corps enfiévrés. Ce soir encore elle avait fait appel à lui, personnellement, comme un pari insensé sur son avenir.
Shane brûlait d’envie d’écraser sous sa botte les parasites, les créatures abjectes qui ambitionnaient de la souiller. De forcer sa dignité, ternissant à jamais sa pétulance. Plus encore, il voulait honorer la confiance qu’elle plaçait en lui. Incarner le roc, la présence stable et rassurante que beaucoup voyaient en Shane Burns, l’allié fidèle qui n’abandonnait jamais ses proches. Il caressa le front hâlé d’un geste tendre, écarta une mèche de cheveux blonds.
— Y faut toujours que tu dises le contraire de c’que j’veux, pas vrai ?
Et il fallait toujours que la langue de Shane dérape en présence de Kendra, sauf quand elle épousait les reliefs de son corps frémissant.
Shane entendit l’appel de sa voix dissonante, déchiffra le besoin de compagnie dans ses yeux las, embués du stress épouvantable qu’elle avait subi. Il se coupa volontairement des signaux que lui envoyait son organisme. Écarta les pensées et les émotions qui risquaient de le divertir.
Pas assez vite.
Kendra n’eut aucun besoin de crier. Shane saisit d’instinct la nature du danger quand les yeux s’écarquillèrent, rivés sur une forme en mouvement au-dessus de son épaule. Shane poussa la femme encore tremblante sur le côté ; pur réflexe de protection. Puis se sentit propulsé en avant par une force colossale.
Shane essaya d’opposer une résistance à l’aide de ses cuisses, mais trébucha sur le corps endormi du violeur. Enfoiré de merde, il va nous faire chier jusqu’au bout ! La protection de ses avant-bras lui épargna un choc à la tête. Étalé sur le bitume, il essaya aussitôt de se remettre sur ses jambes. Un coup de pied puissant, brutal, lui arracha un cri de douleur. Shane porta une main sur son flanc gauche, à l’endroit où le choc avait ravivé sa blessure. Voilà ce qui en coûte de te bagarrer sans cesse et ne pas te soigner ! La voix de sa mère dans sa tête, qui lui avait seriné ce discours durant toute son adolescence. Têtu, il se redressa sur ses genoux mais fut cueilli par un coup de poing au visage. Shane crut un instant que sa mâchoire allait se déboiter. Tourna la tête sur le côté, cracha un glaviot maculé de sang. Éructer son ricanement mauvais.
— Alors quoi ? C’est tout c’que vous avez ? Vous êtes vraiment que des gros sacs à merde, avec des balloches remplies de chiasse.
Le bras qui tenait encore son arme se dressa à la verticale, puis il pressa la détente. Mouvement de panique chez les junkies. Hésitation de l’armoire à glace qui lui avait enfoncé les côtes ; il ressemblait à un joueur de la NBA croisé avec un Big Mac. Feulement chez le moustachu qui l’avait cogné au visage ; un œil vitreux de toxico, l’autre curieusement vif, celui d’un boxeur.
— Kendra, monte à l’intérieur du pickup et enferme-toi !
Courbé sur le côté, une main en soutien de son flanc gauche, Shane se redressa en espaçant ses tirs, canon du pistolet orienté vers le haut. Il invectivait ses adversaires, les défiait du regard. Toute l’attention convergeait sur lui. Parfait. La plupart des junkies s’étaient dispersés ; seuls les deux costauds restaient immobiles, tels des prédateurs à l’affût. Ceux-là devaient posséder un genre d’instinct animal qui les différenciaient du commun des mortels, les avisaient des réelles intentions du policier en civil.
Shane attendit que Kendra se réfugie à l’intérieur du véhicule, puis tira sa dernière balle.
— Je resterais bien jouer avec vous, les dégénérés, mais une dame m’attend. Et j’aime pas faire patienter les dames. C’est pas très poli.
Big Mac fut le premier à s’élancer. Shane ne chercha même pas à esquiver la charge, qui l’entraîna jusqu’à la paroi taguée du tunnel. La douleur sur le côté paralysait tout le gauche de ton torse, l’empêchait de jouer les acrobates. De toute manière, il n’avait jamais été doué pour jouer les danseuses de ballet sur un ring. En revanche, Shane possédait une rare faculté à cogner et encaisser les coups. Son dos s’écrasa sur la surface dure. Le choc lui arracha un gémissement. Bras prisonniers de l’étreinte de son colossal adversaire, Shane lança son front à l’assaut du visage adverse. Lui fractura l’os orbital, puis lui éclata le nez. Le monstre relâcha enfin sa prise en poussant des couinements, semblables aux cris des porcelets. Il enfouit sa figure meurtrie entre ses immenses paluches.
— T’inquiète pas, mon gros, on s’y fait.
Shane avait subi cinq fractures du nez, et s’attendait à en subir d’autres d’ici la fin de sa carrière. Il s’écarta du monstre, frappa du coin du pied l’extérieur d’un genou, qui plia dans un horrible craquement.
Une masse fendit l’atmosphère diaphane ; s’abattit sur le bras qui protégeait son flanc gauche. Le boxeur portait des coups rapides et précis, mais s’essoufflait vite. Manque d’entraînement en plus de la came, ça pardonne pas. Shane resta sur la défensive, attendit une ouverture et répliqua par un coup de genou suivi d’un violent crochet du droit. À sa grande surprise, son adversaire secoua la tête et lui retourna un coup identique. Échange de frappes puissantes, brutales. Shane s’agaçait. Puis il comprit que la drogue que consommait ce type le rendait insensible à la douleur. Handicapé par sa blessure, Shane reculait sans cesse jusqu’à déraper sur un corps inerte. Putain, c’est pas possible ! Encore le violeur, qui tenait là une nouvelle occasion d’accomplir sa vengeance. Le moustachu fondit sur Shane, dos à terre comme une tortue sur sa carapace. Il fléchit une jambe in extremis et repoussa son adversaire du pied. Le flic se releva, encaissa une nouvelle frappe à la tête, puis décida que le combat avait trop duré.
Kendra assistait à l’affrontement brutal , et ne devait pas vraiment apprécier le spectacle.
Ignorant sa blessure, ignorant la douleur, il saisit son adversaire à la gorge de ses deux mains. Le souleva de terre en hurlant, l’entraîna jusqu’à la Mazda. Plaqua le corps frétillant sur le capot, agité comme un poisson tiré sur la berge. Les coups plurent sur son torse, ses bras. Une véritable averse d’été. Shane tint bon, l’étrangla jusqu’à sentir la tension faiblir entre ses doigts implacables. Il colla une dernière droite au moustachu, cadeau d’adieu pour le plonger dans une profonde inconscience. Puis il s’affala contre la portière de la voiture en panne, cœur battant la chamade contre sa poitrine. Trop essoufflé pour appeler à l’aide, il leva un pouce comme un autostoppeur au bord de la route.
Nom d’un chien, qu’est-ce qu’il faut pas faire pour qu’une jolie blonde nous conduise chez elle au milieu de la nuit.
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() Sujet: Re: Piège en os troubles ft. Shane Mer 19 Juin - 20:40
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() Sujet: Re: Piège en os troubles ft. Shane Jeu 20 Juin - 18:12
Piège en os troubles
Shane réprima un gémissement de douleur lorsque le corps Kendra se pressa contre le sien. Sa carcasse barattée par la chair qui cogne, l’acier qui tranche et transperce, s’en était plutôt bien sortie. Seul son flanc gauche déjà blessé avant l’affrontement lui arrachait un feulement étouffé à chaque palpation. Son visage affichait-il des dommages plus sérieux ? Car les larmes se déversaient sur le visage de Kendra comme s’il ressemblait à un cadavre ambulant. Ou qu’elle pleurait à sa place.
— Bordel, Kendra, tu vas pas te mettre à chialer… Pas pour moi, en tout cas.
Shane détourna le regard du visage en larmes, scrutant par automatisme les deux côtés du tunnel à l’affût d’une nouvelle menace.
Depuis sa plus lointaine enfance, il avait toujours été sensible aux larmes innocentes, en particulier celles des femmes et des enfants. D’abord les pleurs infantiles de ses quatre sœurs, puis les lamentations des victimes afghanes et irakiennes. Depuis qu’il était flic, les larmes de maltraitances et autres crimes odieux parmi les habitantes de New York et de Miami. Il ne supportait pas ces épanchements de la souffrance humaine ; ressentait chaque fois un sentiment d’impuissance, de défaite. Comme s’il avait failli quelque part, échoué à protéger les personnes qu’il avait prêté serment de défendre.
— T’as pas à être désolée. C’est moi qui ai décidé de venir. De pas flinguer tout le monde. D’y aller aux poings. C’est moi. Et puis ça m’a fait un bon exercice. Ouais, un foutu bon exercice, même. Parce qu’y faut sortir de sa routine, de temps en temps, tu vois ? Sinon on s’ramollit. On devient bon à rien.
Instant de faiblesse durant lequel il n’accablait pas Kendra de reproches, comme il l’aurait fait d’habitude. Évidemment, Kendra le traita d’idiot et Shane ne lui donnait pas tort. Il avait foncé comme une bête, comme d’habitude. Fait ce qui lui semblait juste ; n’en éprouvait aucun regret. En revanche, le timbre suraigu de sa voix l’agaçait au plus haut point.
— Oh, c’est bon. Me fais pas chier avec tes conneries de renforts. Et j’suis pas le genre de couille molle à rester planqué dans une bagnole pendant que des connards font régner leur loi. C’est comme ça, c’est tout. J’suis comme je suis.
Au prix d’un effort surhumain, Shane se remit droit sur ses jambes et fit deux pas en direction du pickup. Ce qui lui donna l’occasion de fuir le regard de Kendra. Deux pas qui, espérait-il, donnaient l’illusion que tout allait bien. Plutôt crever la gueule ouverte qu’avouer sa faiblesse, reposer sur son aide.
— Bien sûr que j’peux marcher. Et même courir, s’il le faut. C’est rien, tu vois ? (Il continua à marcher, un pas lent après l’autre.) Dans deux jours, j’pourrai même courir un foutu marathon sur une jambe.
Après les quelques mètres les plus interminables de sa vie, les mains de Shane prirent appui sur le capot.
— Si tu veux t’rendre utile, t’as qu’à prendre le volant. Enfin… à condition que t’arrêtes de t’la jouer malade de Parkinson. J’ai quelques appels à passer.
Les tremblements de Kendra s’amenuisaient, mais Shane savait par expérience que la tension ne disparaissait pas toute seule, sauf pour une poignée de privilégiés au sang froid de reptile. Des privilégiés dont lui-même ne faisait pas partie.
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() Sujet: Re: Piège en os troubles ft. Shane Jeu 20 Juin - 20:01
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() Sujet: Re: Piège en os troubles ft. Shane Ven 21 Juin - 18:05
Piège en os troubles
Shane traîna la jambe, poussa un grognement, ouvrit la portière côté passager, lança un juron et s’installa sur le siège comme un blessé de guerre dans son fauteuil roulant. Il détestait se sentir faible, diminué. Plus encore quand une personne le voyait dans cet état. Et par-dessus le marché, il fallait que ce soit Kendra.
— Quelle connerie, maugréa le vraiment chieur. Tout ça à cause d’une vieille poubelle qui devrait même pas avoir le droit de rouler. Faut rien avoir dans l’caisson pour conduire une marque de piles électriques.
Entre Shane et Kendra il y avait toujours des échanges de tirs, une bataille à livrer. Une guerre sans fin qui trouvait de temps à autre une trève dans – paradoxe de leur relation – un corps à corps plus endiablé qu’un pugilat.
— T’es à moitié à poil ; t’étonnes pas d’avoir froid.
Les vêtements souillés, le corsage maculé de sang offraient une vision trop indigne pour stimuler la libido de Shane. Kendra était une victime. Victime d’une agression des plus odieuses. La vision du sale porc aux dents noirâtres, courbé sur la poitrine recouverte d’une fragile couche de tissu, continuait à nourrir le feu de sa colère.
Le moteur du pickup se mit à ronronner. L’oncle de Shane, qu’il avait toujours connu les mains noircies de graisse, faisait des miracles dans son garage à la réputation irréprochable. Chez les Burns, on aimait le travail bien fait et on ne rechignait pas à la tâche. Le véhicule glissa à côté du violeur étalé sur l’asphalte crasseux. Main agrippée à la poignée de porte, Shane voulut demander à Kendra de s’arrêter trente secondes. Trente secondes pour rouer de coups cette créature abjecte. Lui laisser une trace indélébile, comme un nez de travers ou un lobe d’oreille arraché avec les dents. Que cette pourriture se souvienne à jamais de son acte et de ses conséquences.
Ou peut-être que Shane désirait évacuer la colère qu’il dirigeait contre lui-même.
Cette fois, Hound sentait qu’il était trop loin. Qu’il avait dépassé les bornes. Qu’il aurait dû fermer sa grande gueule, ou mieux : l’utiliser pour exprimer des mots réconfortants. Et Kendra, évidemment, n’était pas en reste. Pourquoi fallait-il toujours qu’ils partent en vrille ? Cette nuit, il avait toutes les raisons de ne pas la provoquer, de se montrer aux petits soins avec elle.
Comble de l’ironie, Kendra lui proposait à présent ses compétences d’infirmière. Lui offrait de traiter les nouvelles blessures qu’il avait récoltées. Blessures que Shane avait la fâcheuse habitude de négliger, comme cette douleur dans les côtes qu’il aurait dû prendre en charge depuis longtemps. Une erreur qui aurait pu avoir d’effroyables conséquences.
— Toi non plus, t’es pas belle à voir, dit-il en avisant l’aire violacée de sa tempe. Pour moi, ça change pas grand-chose. Avec sa gueule cabossée d’origine, Shane n’aurait jamais le visage gracieux d’un Apollon. (Il soupira, résigné.) De toute façon, j’aime pas les hôpitaux.
Ainsi qu’un tas d’autres choses qui souvent l’exaspéraient. Notamment son incapacité à lui dire merci, comme si par ce biais il concédait à Kendra sa défaite.
Shane remua son téléphone entre ses mains poisseuses. Visage agité, lèvres sifflantes qui s’ouvraient par moments, commençaient à murmurer quelque chose, puis se scellaient à nouveau. Et puis merde…
— Écoute… j’suis désolé, Kendra. J’aurais pas dû dire ces trucs. Pas après c’que tu viens de traverser. (Silence embarrassé.) Désolé, voilà. C’est tout. Y a rien d’autre à en dire.
Il porta son téléphone à l’oreille, coupant court à toute initiative de discussion. Ça lui en coûtait de présenter des excuses. Plus encore que d’endurer les signaux de douleur que lui retournaient ses nerfs.
Shane dressa au MPD un rapport concis des événements. Professionnel, clair et précis. Il articulait ses mots avec soin. Épurait son langage de la plupart des termes vulgaires, parfois orduriers, qui avait jailli de sa bouche à l’intérieur du tunnel. Censurait son zèle à infliger une sévère correction au groupe de junkies. Il assura cependant qu’il rédigerait un « rapport complet dans les 24h », accompagné de la « déposition de la victime ». Le rire de la standardiste satura le médiocre haut-parleur du téléphone lorsqu’il préconisa d’envoyer deux fourgons pour embarquer les suspects. Le terme familier de « camion d’éboueur qui ramasse les sacs à merde » avait échappé à la vigilance du flic qui se donnait bonne figure.
Shane raccrocha, puis tourna son visage vers Kendra. Sa collègue semblait aller mieux, tremblait beaucoup moins. L’humidité de ses yeux ne coulait plus sur ses joues qui reprenaient des couleurs. Toutefois, ses phalanges blanchies autour du volant indiquaient qu’elle restait sous tension.
— Au petit matin, il faudra faire constater les marques de ton agression par un médecin. Et venir au commissariat dans la journée pour ta déposition. Les petites merdes seront vite relâchées, mais les deux qui t’ont physiquement agressée prendront cher, si t’acceptes de déposer une plainte. Je sais que c’est pas facile, après ce qu’ils ont voulu te faire – après ce qu’ils t’ont fait. Mais il faut rien leur lâcher, à ces enfoirés. On peut pas les laisser faire. Laisser cette vermine infester nos rues. Chaque jour passé au trou ou en désintox, c’est un jour de moins où ils traînassent dehors, à foutre en l’air notre monde et cibler d’autres victimes. Des femmes comme toi, qui ont pas toutes un chien de garde pour veiller sur elles.
Il lui adressa un sourire mi-gêné, mi-amusé, puis reprit son téléphone.
Une dépanneuse fut expressément chargée de conduire la vieille Mazda en panne au garage de l’oncle Burns. Shane aurait préféré envoyer la capricieuse épave directement à la casse, mais s’imposa cette alternative. Puisque Kendra refusait d’abandonner son tas de ferraille envers et contre tout, il fallait que le tas de ferraille bénéficie d’une rénovation en bonne et due forme en plus d’une maintenance efficace.
— Mon oncle te fera un prix sur les réparations, si tu acceptes de passer tous les deux mois à son garage pour un contrôle de routine. Ça te va ?
Plus jamais la Mazda ne devait mettre sa propriétaire en danger. Plus jamais Kendra devait craindre pour sa dignité ou pour sa vie, dans un sombre tunnel de Miami ou n’importe où ailleurs. L’idée qu’un nouvel incident se produise et qu’il n’arrive pas à temps inspira à Shane une coulée de sueur froide.
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() Sujet: Re: Piège en os troubles ft. Shane Sam 22 Juin - 11:44
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() Sujet: Re: Piège en os troubles ft. Shane Dim 23 Juin - 14:47
Piège en os troubles
Observer la route depuis le siège passager laissait à Shane une impression étrange, inconfortable, comme s’il roulait à l’anglaise. Lorsque Shane Burns montait dans un véhicule, une règle tacite statuait qu’il prenne le volant. Toujours. Et personne n’osait lui contester ce privilège. Pourtant il se faisait conduire par une victime d’agression comme un coq en pâte, dans son propre pickup. Ses appels téléphoniques atténuèrent les sentiments tourbillonnants de honte et de colère qui lui remuaient les entrailles. Enfin il reprenait les choses en main, clouait le bec à Kendra qui ne contesta aucune de ses initiatives. À son grand soulagement, le traitement des sujets pratiques s’étira sur toute la durée du trajet jusqu’à la belle demeure de Kendra, aussi bien assortie à sa propriétaire que la vieille bicoque malmenée de Shane.
Le flic descendit du véhicule en grondant, mâchoires serrées et babines retroussées tel un animal prêt à mordre. Au sommet des escaliers, le gros matou de Kendra fit volte-face et cessa de jouer les sentinelles. C’est ça, boule de poils, casse-toi. Shane ne se sentait pas d’humeur à supporter ses feulements. Entre eux le courant ne passait pas. Sauf en de rares occasions, imprévisibles, où l’animal se frottait contre lui avec une avalanche de ronronnements sonores. Leur relation chaotique mimait curieusement les rapports que Shane entretenait avec la maîtresse des lieux.
L’homme abîmé étira ses muscles raidis par l’effort, contusionnés par les chocs subis. Sa tête lui tournait un peu. Il endigua cette faiblesse passagère en la secouant vigoureusement. Bon sang, c’est quand même pas une p’tite baston de rien du tout qui va m’faire tourner de l’œil ! Il s’attarda dehors, inonda ses poumons de l’air frais, vivifiant du littoral. Après la bataille qu’il venait de livrer, la tranquillité quasi surnaturelle de l’endroit lui paraissait incongrue, décalée. La maison de Kendra était un havre de paix, un refuge, un nid douillet où il avait vécu de très beaux épisodes nocturnes.
Shane se rappelait les fins de nuit somptueuses, bercées par les mouvements de la marée et la joyeuse ritournelle des oiseaux. Il se remémorait la sensation de bien-être, chaque fois que pointaient les premiers rayons de l’aurore, le souffle chaud et régulier de Kendra caressant sa poitrine. Seul le maudit clébard dont elle partageait la garde avec son ex-mari jouait parfois le trouble-fête. Boyd grattait alors la porte de ses pattes impatientes, mu par une curiosité qui le poussait à vérifier ce que sa maîtresse fabriquait avec un pitbull dans son lit. Ou alors il s’inquiétait de leurs remous, gémissements et cris qui fracassaient sans pudeur la quiétude de la nuit.
Shane rejoignit son hôtesse-infirmière à l’intérieur, ragaillardi et sourire aux lèvres.
— Ta baraque me fait toujours…
Parole étouffée sous le corsage jeté à même le sol. Langue clouée par les mains qui déjà lui ôtaient son t-shirt avec une délicatesse contrôlée.
À près de quarante ans, Kendra exhibait encore un corps à faire tourner les têtes. En tout cas celle de Shane, que les photos de mannequins en bikini laissaient pourtant dans une relative indifférence. Car l’important, pour lui, avait toujours été la manière de s’en servir. Une loi universelle qui s’appliquait à toutes les formes de corps à corps, du plus tendre au plus violent. Il avait découvert que Kendra savait employer le sien comme un formidable instrument de plaisir et de désir. Shane attribuait ses qualités d’amante exceptionnelle à la personnalité forte et énergique de la femme libre, plus que jamais résolue à vivre depuis qu’elle avait frôlé la mort. Aujourd’hui encore, après l’écueil qui aurait pu la briser, Kendra chérissait à nouveau la vie de ses mains entreprenantes, appelait au rapprochement éphémère de leurs âmes vagabondes.
— Et moi, je sais qu’on a tous les deux besoin d’un autre genre de soin, affirma le patient de sa voix rauque.
Saturé d’hormones après les événements de la soirée, le corps de Shane réclamait à grand cri des ébats intenses. Il sentait le désir couler dans ses veines, chasser douleur et lassitude. Ses oreilles entendaient déjà la clameur de leur jouissance, écho de leurs passions déchaînées.
Il leva le menton de Kendra entre deux doigts, écrasa sa bouche sur les lèvres douces et sucrées. Le violeur les avait-il effleurées ? Souillées de sa gueule abjecte ? L’amant engloutit sans hésitation la langue familière, qui rejoignait sa compagne gourmande pour une danse endiablée. Il effacerait toute trace de cette ordure. Enfoncerait le souvenir de son contact odieux dans les tréfonds du gouffre de l’oubli, à la force de ses bras ardents et de ses baisers fougueux.
Déjà Shane déboutonnait son pantalon avec fébrilité. Fit tomber celui de Kendra à ses pieds. S’attaqua aux derniers reliquats de leur pudeur. Puis s’interrompit, frappé d’un malaise à la poitrine.
Non.
Shane crut d’abord à une affliction physique, tant le coup fut soudain, impérieux.
Non, pas comme ça, crétin.
Shane réalisa que la femme en face de lui n’avait pas seulement besoin d’assouvir un besoin physique, une pulsion charnelle. Ou crut le comprendre, guidé par sa conscience et l’amitié qu’il portait à sa collègue. Il maîtrisa le feu cuisant qui lui consumait l’entrejambe. Enlaça Kendra avec tendresse. Frotta sa joue indemne contre la sienne.
— Je retire ce que j’ai dit, tout à l’heure, lui susurra-t-il à l’oreille. Tu es toujours belle à voir. Et tu seras délicieuse à croquer après une bonne douche.
L’amant enfiévré devint plus calme. Ôta leurs sous-vêtements avec langueur, plaisantant sur ses blessures, félicitant Kendra sur le galbe affriolant de ses jambes. Quel était leur secret ? Il saisit les cuisses par l’arrière, souleva la femme mise à nu, colla sa poitrine contre la sienne. La douleur sur son flanc gauche se réveilla ; Shane décida de l’ignorer.
Kendra lui paraissait si légère, si fragile. Comme un oiseau aux ailes brisées, qu’il désirait protéger et chérir dans la morne solitude de cette nuit squalide. Elle glissa ses bras autour du cou solide de l’homme dévoué, croisa ses jambes derrière son dos musclé.
Lesté de son joli chargement de chair et d’os, Shane marcha à pas lents jusqu’à la salle de bain. Souriait à sa vis-à-vis de sa gueule tuméfiée, avec l’espoir d’en atténuer la laideur. La harcelait de baisers – moyen à coup sûr plus efficace.
— Je suis pas super doué pour les massages, dit-il en pénétrant dans la cabine de douche, mais t’es pas en droit de faire la fine bouche, ce soir.
Le pommeau cracha une eau tiède – à Miami, l’eau courante donnait rarement la chair de poule – qui glissa sur leurs peaux comme un baume purificateur. Shane remplit la paume de sa main d’une giclée de gel douche, qu’il se mit à appliquer sur la poitrine de Kendra. D’abord avec gaucherie, puis une gestuelle plus assurée – une sensualité croissante.
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() Sujet: Re: Piège en os troubles ft. Shane Mar 2 Juil - 16:13
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() Sujet: Re: Piège en os troubles ft. Shane Mer 3 Juil - 18:33
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() Sujet: Re: Piège en os troubles ft. Shane Jeu 4 Juil - 17:19
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() Sujet: Re: Piège en os troubles ft. Shane Ven 5 Juil - 18:28
Piège en os troubles
Ils s’enlacèrent et Shane, reprenant son souffle, couvrit lentement Kendra de baisers dont la tendresse contrastait avec la fièvre de leur coït.
Pourquoi une femme comme Kendra, dont moult diplômes et lauréats tapissaient la belle demeure, s’accordait si bien sexuellement avec un molosse comme lui, cela restait pour Shane un mystère. Il imaginait davantage Kendra amatrice d’intellos en costard, à grignoter de la bouffe de riche autour d’une bouteille de vin, dissertant d’élucubrations scientifiques auxquelles il ne comprenait rien. Passer des nuits sages et ennuyeuses avec monsieur Tête d’ampoule, se livrer deux fois par an à des jeux érotiques débiles dont raffolaient les nantis. De même, la blonde n’était pas le genre de femme avec qui Shane s’acoquinait jadis. Elle tirait une grande fierté de son job à la con (un artisan boucher en savait plus qu’elle sur les os…). Le faisait constamment chier avec des conneries dont il n’avait rien à foutre dès qu’ils avaient le malheur de se croiser. Kendra l’exaspérait.
Et pourtant…
— J’ai encore les couilles en feu, et tu m’parles de remettre le couvert alors que ton pieu se trouve juste à côté. À quoi j’pense, à ton avis ?
Si Kendra espérait tirer des idées romantiques de son amant du soir, elle courait à la déception. Shane ne s’encombrait jamais de mensonges, des mots doux et creux que prononçaient certains hommes pour charmer leurs partenaires. Les rendre accros avec des citations de romans de gare. Quand il disait quelque chose, critique ou compliment, c’est qu’il le pensait vraiment. Et Shane réfléchissait peu.
Il coupa le robinet de la bouche, ouvrit la cabine et arracha une grande serviette. Commença à essuyer Kendra de pied en cap. Évidemment il prenait son temps, s’attardait plus encore sur les zones érogènes de son anatomie, dessinait de lentes circonvolutions dès qu’il sentait la chair se tendre sous le tissu. Ce qui arriva à maintes reprises.
— J’ai p’tête pas un doctorat, madame l’anthropologue, mais je sens quand ma soi-disant infirmière a envie de tripoter les muscles d’un homme à la place de ses os pourris.
Collé au dos de Kendra, Shane glissa avec assurance la serviette entre les cuisses tandis qu’à l’autre extrémité, son autre main empoigna un sein encore ferme. Il huma le parfum fruité de ses cheveux – Kendra savait choisir son gel douche –, puis la flagrance subtile de son cou. Pourquoi les femmes dégageaient une odeur ennivrante après l’amour, c’était un autre mystère qui échappait totalement à sa maigre compréhension.
— C’est le flair du policier, tu vois. (Il lècha quelques gouttes résiduelles au creux de son cou, puis lui mordilla l’épaule.) Même votre intuition féminine peut pas rivaliser, à c’qu’on raconte.
Une fois le séchage terminé, Shane confia la serviette à Kendra afin qu’elle lui rende le même service.
— Et j’ai l’impression que ça faisait longtemps, qu’un homme t’avait pas apporté du plaisir. Pourtant t’as l’air de rudement apprécier. Alors pourquoi ?
Déformation professionnelle d’enquêteur à la criminelle, inquiétude pour cette peste à qui il restait malgré tout dévoué, ou simple curiosité, la question était partie toute seule bien que la vie affective de Kendra ne le regardait pas.
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() Sujet: Re: Piège en os troubles ft. Shane Jeu 11 Juil - 15:32
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() Sujet: Re: Piège en os troubles ft. Shane Dim 14 Juil - 14:52
Piège en os troubles
— Oh oh. Tu sais que t’es une marrante, quand tu t’y mets ?
C’est à dire les rares moments où elle s’abandonnait à lui – à moins que ce fut l’inverse. Le reste du temps, Kendra faisait chier son monde et donnait envie de l’étrangler. En tout cas, c’était l’image que ses gants en latex inspiraient habituellement à Shane.
Entre deux rires et une autre blague située au niveau de la ceinture, « cette histoire de feu aux couilles et d’extincteur m’a donné envie d’un barbecul », Shane enserra Kendra et posa ses lèvres sur l’une de ses joues.
Il éprouvait un immense plaisir à caresser son amante – le séchage n’était qu’une conséquence pratique de la manœuvre –, à sentir les contractions de ce corps familier sous ses mains provocatrices, sensuelles. À l’image du désir, le bonheur de l’instant présent se propageait comme un feu de prairie d’une personne à l’autre. Une chaleur agréable réchauffait la poitrine de Shane, apaisait les afflictions de son thorax blessé. L’homme était un cogneur, un bagarreur. Pourtant le plaisir de se battre lui paraissait bien terne face à la gratification de satisfaire une femme. De la rendre heureuse. Est-ce qu’il se ramollissait ?
La réplique de Kendra sur la pourriture des os aurait suffi à amorcer une dispute, en temps ordinaire. Cette fois Shane se montra joueur, répliquant sur le ton de l’hilarité.
— Mouais. Si les clébards veulent pas les mâcher, tes os millénaires, c’est qu’ils doivent avoir le goût… (Shane avait vu pas mal de fractures ouvertes au cours de sa vie, avait lui-même brisé pas mal d’os, sans jamais avoir la répugnante idée d’y glisser la langue.) … le goût d’os pourri ! Appelle ça comme tu voudras. Les cleps, ils savent c’qu’ils font. Même un vieux sac à puces en sait plus que tes microscopes à mille dollars.
Shane, quant à lui, aimait le goût d’une peau tendre. Il savoura une dernière fois celle de Kendra, puis lui remit la serviette.
Le flic n’avait jamais l’occasion de se faire bichonner. Il avait de nombreux amis, de la famille, mais personne ne prodiguait de soins à son corps malmené par les entraînements aux sports de combat et les arrestations musclées. Sinon à l’hôpital, quand il était trop tard. Le reste du temps, il se rafistolait lui-même. Ses yeux le piquèrent lorsque Kendra passa derrière lui, glissa la serviette avec un mélange d’audace et de douceur, avec d’infinies précautions sur les hématomes et contusions qui attendaient le moment de le harceler, telles des créatures de malheur tapies dans l’ombre.
Bordel, je vais quand même pas me mettre à chialer !
Kendra bascula à l’avant et Shane reprit sa contenance habituelle. Hors de question de paraître faible, vulnérable. C’était un réflexe, une question de survie : les faibles se faisaient bouffer – se faisaient buter. Et les vrais mecs ne pleurent. Boys don’t cry, lui avait asséné sa mère, jusqu’à ce que ses yeux de petit garçon s’assèchent totalement. Shane se sentit néanmoins très faible et vulnérable lorsque la serviette essuya le contour de ses hanches, approcha son intimité. Sa virilité était passée du sabre de cavalerie fièrement brandi au vieux soldat rabougri, mais cela n’entravait en rien les sensations du contact charnel.
Alors, Kendra ? Pourquoi cette apparente solitude ? Partenaire trié sur le volet ?
— Attends, je rêve ou tu viens d’me faire un compliment ?
Shane allait se fendre d’une boutade quand son amante le pris au dépourvu en lui retournant la question. Quand ses mains titillèrent le soldat rabougri, subitement revigoré, tandis qu’elle accrochait son regard. Il déglutit. Combattre une montagne de cent vingt kilos était plus facile que résister au défi d’un tel regard !
— Moi, j’pense pas à la retraite. Et les chats qui s’aventurent près d’chez moi, ils finissent dans la gueule des alligators. C’est p’têt pour ça que j’tâte pas souvent des minous.
Sourire amusé du poète en herbe. La véritable raison, Shane l’ignorait lui-même. Pris par le travail, les services rendus à ses proches, il était devenu vieux garçon sans même s’en rendre compte. Comment dire à Kendra qu’il avait perdu le goût de séduire, l’envie de rapports sexuels après la folle soirée qui les réunissait ? L’excuse ne tenait pas debout.
— De toute façon, les confidences se font sur l’oreiller à c’qu’on dit, pas dans les cabines de douche. En tout cas, on peut dire que le sevrage nous réussit tous les deux…
Joignant l’acte à la parole, Shane jeta la serviette humide et entraîna la propriétaire des lieux jusqu’à sa chambre. Leurs corps enlacés tournoyaient, leurs lèvres distribuaient des baisers en abondance. Birdie les regarda traverser le couloir d’un œil fatigué, puis se roula paresseusement en boule dans un confortable fauteuil. Shane crut le voir secouer la tête avec langueur, l’air de dire « ah la la, ces humains… ». Puis il se ravisa : cette stupide boule de poils ne connaissait rien aux affaires humaines, déjà trop compliquées pour les humains eux-mêmes.
Arrivés dans la chambre, Shane souleva Kendra, la déposa précautionneusement sur le lit telle une princesse de minuit. Une princesse nue, dont il observa avec gravité le corps irradiant de chaleur.
— Tu sais, Kendra, tu pourrais trouver mieux que moi. Un mec bien, j’veux dire. T’es encore jolie, attirante, mais ça va pas durer éternellement. Dans ta liste de partenaires triés sur le volet, y’en a pas un qui est de meilleure compagnie que ton foutu chat ?
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() Sujet: Re: Piège en os troubles ft. Shane Dim 14 Juil - 16:57
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() Sujet: Re: Piège en os troubles ft. Shane Lun 15 Juil - 18:31
Piège en os troubles
Shane se laissa entraîner sans résistance sur le lit confortable, assez grand pour accueillir le déchaînement de leurs fougueux ébats, suffisamment étroit pour forcer l’intimité. Un nid parfait, selon les critères de Shane qui appréciait aussi les claquements de la tête de lit contre le mur.
Il écarta une mèche de cheveux blonds, encore légèrement humides, qui menaçait de couvrir l’œil de son amante.
— Tu sais, si j’avais su qu’tu passerais aux aveux, emmerdeuse patentée, j’aurais emporté un magnéto. Et ensuite, j’aurais repassé l’enregistrement chaque fois que tu nous tapes sur le système.
Shane parlait évidemment d’un magnétophone à cassettes, un de ces vieux modèles analogiques qui se vendaient encore quinze ans plus tôt. Il avait d’ailleurs profité des ultimes déstockages pour s’en constituer un stock à un tarif imbattable. Hors de question pour lui d’utiliser les outils numériques dont on ne voyait même pas la bande magnétique. Encore moins un smartphone qui lui filait déjà de l’urticaire pour passer un simple coup de fil.
Il s’apprêtait à en rire lorsque la divorcée revint à la charge.
Les femmes et leurs questions… les questions qui faisaient réfléchir à des sujets auxquels Shane n’aimait pas réfléchir. Et comme un con, c’était lui qui avait inauguré le bal. Scié la branche sur laquelle il était assis. Il lui suffisait pourtant de profiter du moment, de jeter toute son énergie dans leur corps-à-corps amoureux, puis de repartir le lendemain matin avec un agréable sentiment d’allégresse dans le pantalon. Une simple nuit de bonheur, sans complications.
Comme au bon vieux temps.
Sauf qu’on était plus au bon vieux temps, à l’époque où les filles minaudaient autour du bad boy de New York à la réputation de tombeur. Des prétendantes que Shane se faisait alors un devoir de toutes satisfaire. Après tout, n’avait-il pas juré de protéger & servir ? Cette époque lui paraissait tellement loin à présent… et le regard insistant de Kendra le tirait de sa rêverie.
— Je sais de quel côté d’la barrière j’me situe, Kendra. T’inquiète pas pour ça. Mais…
Shane sentait les pointes durcies des seins contre sa poitrine, la douceur des lèvres qui cajolaient à présent sur son corps.
Et puis merde…
Il glissa un bras dans son dos. La pressa contre lui, comme pour marquer son intention de la faire sienne, le temps d’une nuit.
Les discours n’avaient jamais été son fort. Pas plus que les nœuds au cerveau. Deux adultes sans attache qui se désiraient et prenaient du bon temps ensemble : la situation n’était guère plus compliquée. Shane n’avait aucune raison de chercher plus loin.
Alors il se délecta de la peau parfumée. Mordilla l’épaule nue à la manière d’un fruit savoureux que l’on goûte. Grogna de satisfaction. À l’intérieur de leurs poitrines serrées, soudées l’une à l’autre, leurs cœurs battants s’élançaient dans un assaut sauvage. Un galop rapide qui essayait de s’accorder pour rendre la ballade plus harmonieuse, plus intime. Il glissa sa main libre dans les longs cheveux blonds. Tira dessus ; imposa de détacher la bouche qui réjouissait son corps. Scella aussitôt leurs lèvres. Pactisa en nouant leurs langues avides. Pacte muet de jouir l’un de l’autre, dans la simplicité de leurs désirs partagés.
Comme au bon vieux temps, en fin de compte.
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() Sujet: Re: Piège en os troubles ft. Shane Jeu 18 Juil - 19:02
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() Sujet: Re: Piège en os troubles ft. Shane Sam 20 Juil - 10:20