old friends, old devils — jack

S'il espérait rentrer sans faire le moindre bruit, c'était sans compter sur le taux d'alcoolémie qui coulait en cet instant dans ses veines. Une simple fermeture de porte se transformait en un claquement retentissant dans toute la demeure. Essayer de ne pas se prendre le meuble à l'entrée, demander plutôt à un éléphant d'entrer dans un magasin de cristal. Les yeux rouges, imbibés tant d'alcool que de sang, il essaye, tant bien que mal de lui tenir tête, de ne pas tituber, de se montrer clair dans ses propos. Mais difficile de tenir le coup, notamment face à une Kristen en état d'alerte. Elle qui a toujours été présente pour lui, elle qui le connaît mieux qu'il ne semble se connaître. Elle a vu en lui un homme bon alors qu'on ne remarque chez lui que le mauvais, que la richesse qui déborde de ses poches et dont il joue au moindre prétexte.
Il pourrait rire de la situation, le rôle de mère qu'elle porte, en plus de l'avoir auprès des enfants qu'ils élèvent ensemble, elle doit également le prendre avec lui, quand il décide de freiner toute l’ascension vers le droit chemin qu'il essaye de faire depuis de nombreuses années. Mais les temps sont durs et sa patience commence à se perdre, et si finalement il en avait marre de devoir se contenir depuis toutes ses années ? Puis elle peut parler, lui au moins prend le temps de se protéger quand il couche avec une femme, aussi inconnue soit-elle, elle, elle prend le temps de se protéger quand elle passe son temps avec William ? Elle croit qu'il n'en sait rien ? Ça serait se tromper. Oh oui il pourrait lui faire la remarque, il pourrait la faire exploser en quelques instants mais il ne le fait pas, pas encore, pas tout de suite, car elle s'efforce d'être gentille, elle s'inquiète pour lui, et s'il n'avait pas envie, s'il n'avait plus envie qu'on s'inquiète pour lui ? Voilà, le résultat de l'alcool qui coule dans son sang.

Il ne répond pas et se contente de rouler les yeux en direction du plafond quand elle repose son préservatif dans la poche intérieure de sa veste hors de prix. Elle le connaît trop bien. « Je t'en prie Kristen, tu m'as déjà vu dans de pires états. » Doux souvenirs de leurs années d'internat au Mercy Hospital. Les soirées qu'ils y faisaient les états misérables dans lesquels ils se mettaient, dans lequel elle le retrouvait au petit matin alors qu'elle terminait sa garde et qu'il devait lui commencer la sienne. Un petit sourire qui se dessine sur son visage, il les regrette ces années, là où rien n'importait si ce n'est leurs études. Ils étaient jeunes et libres. Il en profitait, plus que de raison. Mais ils ont changé, vingt longues années viennent de s'écouler sous leurs yeux, si elle a prit le temps de mûrir il a prit le temps de faire un gosse, de devoir l'élever seul, ce gosse qu'elle lui a pondu, celui qu'elle lui a laissé dans les bras avant de partir, sans se retourner, elle en assume maintenant les conséquences. Kristen n'hésite pas une seule seconde à le lui faire rappeler, oui il le sait. Demander si son fils dort n'était clairement pas une bonne idée, vouloir essayer de changer de conversation encore moins. « Kristen s'il te plaît. » Et voilà que l'impatience de la situation vient lui peser. Elle sait qu'elle empreinte un sentier dangereux, qu'elle appuie là où ça peut le faire sortir de ses gongs. Et pourtant il essaye, Dieu qu'il essaye de ne pas serrer le poing. « Je suis désolé ça te va ? » Qu'il lui balance en pleine figure, les mains écartées, comme cette impression que ce simple aveux pourrait passer.
Puis il soupire, comme à chaque fois. S'écarte d'elle. Tout en se dirigeant vers le balcon à vue sur la mer. Tout en prenant soin de ne pas quitter des yeux celle qui l'héberge gratuitement depuis la naissance de Pacey, son fils, celui qu'il lui laisse depuis plusieurs semaines. Et si durant les journées où il est libre il prend soin de s'occuper de lui et de l'emmener à ses rendez-vous, la nuit l'histoire est toute autre. Le vent marin qui glisse sur son visage, une profonde inspiration, il prend le temps de défaire quelques boutons de sa chemise. Avant de s'emparer du peu d'herbe qui lui reste dans les poches. Si palier les relans d'alcool avec du shit pourrait être une bonne idée, il se trompe complètement. Attendant qu'elle vienne vers lui, il pose ses coudes sur la rambarde du balcon, les yeux dans le vide. « On a tous eu des coups de mou Kristen. » Dit-il en connaissance de cause, serait-il prêt à lui balancer ce qu'il a sur le bout de ses lèvres ? S'en est terminé pour lui de prendre des pincettes. « Et plutôt que de trouver du réconfort dans les bras de mes propres amies, je préfère le trouver avec une bonne bouteille de whisky ! » Venait-il d'insinuer qu'il était au courant de cette relation qu'elle entretenait avec William ? Venait-il de lui balancer cette bombe en plein visage ?
Il ne la regarde même pas, parce qu'en cet instant discerner les bonnes des mauvaises choses semblent chose impossible. Les hommes et leurs égos...

D'accord, ces derniers temps il la laisse, il la délaisse, il ne prend même plus le temps de savoir comment elle va, de prendre le relais quand les enfants pleurent le soir des suites d'une mauvais cauchemars. Elle a raison de lui en vouloir, elle a raison de lui faire ces remarques. Parce qu'il n'a plus vingt ans, parce que ce n'est plus le jeune homme qui n'a de responsabilité, que les résultats scolaires. Maintenant il a un fils, un petit garçon qu'il chérit, un petit garçon pour qui il pourrait tuer. Une responsabilité de plus. Et si dans le cadre du travail il se révèle être le meilleur, en terme de vie de famille, il fuit, il se sent mauvais, ingérable, incapable. C'est pourtant lui qui a demandé la garde exclusive sans droit de visite. C'est lui qui a juré et injurié cette femme. Pensait-il à cet instant qu'il allait y arriver ? Ou était-ce simplement la fierté d'un homme qui parlait ? Elle lui avait fait du mal, elle allait le regretter. Elle l'a fermé, elle l'a semble-t-il bousillé, alors que c'est tout de même lui qui l'a quitté. Parce qu'il ne voulait pas s'attacher à elle, parce qu'elle aurait pu le changer, le faire devenir un autre homme, elle avait la jeunesse, il la retrouvait avec elle. « Je ne t'ai jamais prit pour la baby-sitter. » S'offusque-t-il, même si en ce moment c'est bien plus le rôle qu'elle prend.
En arrivant sur le balcon, espérant un peu de tranquillité, un peu de silence. La drogue qu'il fume, qui s'insère dans chacun de ses organes. Ce n'est certes pas la meilleure qu'il ait goûté, mais elle fera l'affaire. Ses mains se mettent à trembler, la descente, ou la montée du taux d'ivresse qu'il a. Le mélange avec cette substance. Ce qu'il veut c'est qu'on lui fiche la paix, qu'on arrête de le juger, qu'on arrête de le mépriser, qu'on arrête de s'inquiéter pour lui. Ce n'est qu'un homme, un homme perdu.

Quand elle le rejoint, quand elle lui demande ce qu'il a dans les mains. Lasse, le visage dans le décor noir que lui offre cette nuit. Il lui tend, tout en recrachant une fumée épaisse et grisâtre. L'odeur de la weed se fait sentir. Petit plaisir qu'ils s'accordent ensemble de temps à autre, signe de complicité. Elle lui répond, préférant qu'il boive du whisky. Jack n'a jamais réussi à avoir Kristen, et les avances qu'il lui a fait n'ont rien changer. Maintenant qu'ils vivent ensemble, qu'il la voit. Non, Kristen est sa meilleure amie, elle fait partie de ses « amies » avec qui il ne couche pas, mais plutôt que de lui répondre d'une remarque désobligeante,il préfère aller sur un autre terrain.
Il ne sait pas, il ne sait plus. En ce moment, sa tête, son cœur, son corps, plus rien ne répond. Plus rien n'a de sens. Jack, celui qui a toujours sût où il comptait aller, celui qui a toujours sût ce qu'il voulait. Là il ne sait pas, là il ne sait plus. Vivre avec Kristen, passer du temps avec Gabriella, si l'une connaît ses troubles, l'autre ne connaît rien et ce n'est pas l'envie qui lui manque de lui dire. Si l'une l'a toujours accepté, l'autre serait-elle prête à ne pas lui claquer la porte au nez ? Kristen est douce, Gabriella est envoûtante, Kristen est son amie, là où il a rêvé pouvoir vivre une relation avec Gabriella. Alors pourquoi la cherche-t-il ? Pourquoi son égoïsme le pousse à les vouloir juste pour lui ? « Kristen, combien de fois je te l'ai dit. » Qu'il commence à lui dire, tout en s'emparant à nouveau de la petite cigarette roulée qu'elle a entre ses doigts. « Tu pensais réellement que William allait changer pour tes beaux yeux ? » Là il touche des points sensibles, là il commence à prendre conscience qu'il est perdu. William, son meilleur ami, William est comme lui, et si lui n'a pas réussi à l'avoir alors pourquoi William l'aurait eut ? « Tu es naïve Kristen. » Naïve d'avoir pensé qu'il l'ait emmené dans ce bar uniquement pour siroter quelques verres, il savait à cet instant que William s'y trouvait. Il savait qu'il y avait une autre femme. Parce que William est comme lui, c'est si facile de se cacher derrière hypothèse, de se dédouaner en faisant se transfert. « Tu es naïve Kristen de penser que tu peux rendre les gens meilleurs. » Sa voix s'élève, ses traits se durcissent, son regard change, il devient noir, plein de colère. « Naïve de croire que tu peux me changer, que tu peux m'aider. » Ses mots sortent de sa bouche comme des lames de rasoirs, trop de non-dits, l'alcool qui joue, certainement, possiblement, elle délie sa langue. « Je méprise tout le monde, je me joues de tout le monde, je manipule les gens, je te manipule !» Serait-ce l'annonce qu'il avait monté de toutes pièces cette rencontre dans le bar ? « Si je pensais que William était fait pour toi, tu penses vraiment que je t'aurai emmené là-bas ?»

Il se rappelle avec tellement de facilité la première fois où il a posé ses yeux sur elle. Vingt ans en arrière, lorsqu’ils étaient jeunes et irresponsables. Les longues nuits qu’ils ont passé à réviser avec la lumière de l’habitacle de la voiture, chacun se spécialisant dans des domaines différents. La première fois qu’ils ont eu une conversation sérieuse, que Jack lui a dit pour ses antécédents médicaux, le traitement qu’il prenait depuis de longues années déjà, elle ne l’a pas jugé, à aucun moment elle n’a émit de jugement sur lui, elle l’a accepté, avec le bon côté qu’il lui laissait voir, tout comme le mauvais côté de sa personne. La première fois où elle l’a vu en pleine crise. Une soirée qui avait mal tournée, une dispute avec son père, les mots blessants qu’il avait eu à l’égard de son géniteur, les mots qu’il avait à l’égard de sa meilleure amie. « Je ne veux pas être comme lui jamais ! »
Et voilà qu’il devenait cet homme. Volage, insensible, invisible. Le chemin vers la guérison était et est long, plein d’embûches, elle l’a même accompagné à l’une de ses séances chez le psy, Kristen est la personne à joindre en cas de problèmes, c’est signé et acté.

Vingt-ans d’amitié qu’il est entrain de détruire par les mots qu’il emploie, par l’alcool qui lui fait perdre la raison, par la drogue qui prend possession de son cerveau. Il n’avait, jusqu’à présent, jamais été blessant avec elle, parce qu’il la respecte trop, parce qu’il sait que sans son soutient il n’en serait pas là où il est maintenant. Ça lui fait mal de lui dire ça, mais il ne peut garder la vérité plus longtemps.
Sa jalousie, sa possessivité, cette incurable possessivité, il a ce besoin de savoir qu’elle sera là pour lui, pour toujours. La savoir dans les bras d’un autre lui fait mal. Il a eu du mal à accepter la présence d’Ali, alors songer à l’idée que William lui vole l’une des seules personnes qui compte encore à ses yeux, ça le rend triste, ça le rend jaloux. Elle hurle en réponse à ses pics qu’il lui balance en pleine figure. Il lui dit qu’elle est naïve. Parce qu’il préfère qu’on le déteste plutôt qu’on l’aime. Ce mélange de contradiction dans sa tête, dans son coeur. Ça le rend fou, ça le rend dingue. Il est arrivé à un tournant de sa vie où il est perdu. La crise de la quarantaine est passée, la crise de la cinquantaine arrive. C’est donc comme ça que ça se traduit ? « Kristen je m’efforce de... » D’être agréable ? Gérable ? Invivable ? Les mots lui manquent, les adjectifs aussi apparemment. Elle lui demande de partir de chez elle. Il ne pensait pas que ça arriverait. Où ira-t-il ? « Tu ne le penses pas. » Qu’il s’étonne. Il l’a piqué, à quoi s’attendait-il en retour ?

Et comme un retour de bâton, il pense à son gosse, à son fils qui n’a rien demandé. À ce petit être qui voit en Kristen une lumière. « Kristen tu ne comprends pas. » Et lui non plus apparemment. Il ne comprend pas. Alors il tente, il s’approche d’un pas. Pose sa main sur son bras qu’il empoigne avec une certaine force. « Putain Kristen, c’est compliqué. » Tellement que ça lui en donne mal au crâne. Et le visage de Gabriella qui se dessine devant ses yeux.
Il empoigne son deuxième bras, son regard se remplie, il en devient humide. L’alcool, la drogue, la colère, la douleur, la passion, l’amour et l’amitié. « Je ne sais pas où j’en suis. » Il plonge son regard dans le sien, resserrant un peu plus l’étreinte de ses mains autour de ses petits bras, il n’a jamais eu envie de lui faire du mal, et pourtant, la force qu’il emploie à la garder face à lui… « Je ne sais pas où je vais. » Une larme perle le long de sa joue, alors qu’il hurle les mots qui sortent de sa bouche. « Je m’efforce, tout les jours je m’efforce. » Sa voix se met à trembler. « Penses à ton fils Jack, penses à ta carrière Denvers. Ne bois pas trop, tu risques de vriller, penses à faire des dépistages tu vas chopper une merde ! » Sa tête lui fait mal mais il ne baisse pas son regard noir, plein de larmes qui s’en échappent. « Je suis un con. C’est trop dur Kristen, j’y arrive plus. » Comme des aveux, il retient, tant bien que mal, il essaye de les retenir ces foutues larmes. « Je ne sais même pas si je préfère que tu me détestes ou que tu persévères à vouloir m’aider. » Il tremble. « Je t’aime Kristen, je t’aime. » D’un amour démesuré, d’un amour douteux, de ce quelque chose qu’il n’arrive pas à définir, sur lequel il n’arrive pas à mettre de mot. Songer à une relation avec elle, ça ne lui est jamais venu à l’esprit, ça serait comme avoir une relation avec sa sœur, mais Kristen n’est pas sa sœur. C’est compliqué, c’est flou, et pourtant, il l’aime. Il l’aime.