L'heure des confessions - Charisma&Grace

« Je te sers du vin?»

Offrais-je à mon amie qui venait tout juste de se joindre à moi pour le souper. Au menu? Rien d’extravagant. En entrée, un plateau de fromage reposait devant nous et comme plat principale; un simple spaghetti italien et une salade pour se déculpabiliser.

Pendant qu’à la table Aaron dévorait sa portion, j’attendais encore la réponse de son père afin de savoir si on l’attendait ou non. À quatre heures, à la fin de mon service, il venait tout juste d’entrer en salle d’opération pour une appendicectomie sur une fillette de 8 ans. Il s’agissait d’une intervention de routine et habituellement, ça ne prendrait pas tant de temps la réaliser, maximum une heure. Encore ce soir, malgré moi, j’entretenais le plus infime espoir qu’il se manifesterait. En réalité, je savais qu’il ne prendrait même pas la peine de me répondre, il terminerait sa chirurgie puis prolongerait ses heures pour ne rentrer qu’un peu avant minuit.

« J’ai un excellent rosé que je gardais justement pour une soirée comme celle-là! Le Château Vignelaure, avec Trevor, nous l’avons rapporté de notre voyage en Provence l’année dernière. »

Insistais-je en déposant deux coupes à notre portée et y versant le breuvage. En plus d’être délicieux, le liquide ambré aux teintes légèrement rougeâtre me permettrait peut-être de me détendre davantage. Déjà, que Charisma ait accepté mon invitation me faisait le plus grand bien. Nous ne nous étions pas offerts une soirée depuis plusieurs lustres. Entre Aaron, nos vies sentimentales, nos travails respectifs et la vie de tous les jours, on en venait à se voir qu’à l’occasion. En me tenant compagnie ce soir, elle permettait d’oublier un peu cette mauvaise passe que Trevor et moi traversions. Prendre mes distances avec la situation ne pourrait qu’améliorer les choses, non?

Ces temps-ci, Charisma avait l’impression de se laisser submerger par son travail. Elle n’aimait pas ce sentiment, mais il y avait des mois plus difficile que d’autres. Novembre et décembre en faisaient parties. Il était difficile pour elle de bien profiter de ses proches dans ces circonstances. Elle enchaînait les consultations six jours sur sept et entre douze et seize heures. Lorsqu’elle rentrait le soir, elle était tellement fatiguée qu’elle voulait seulement se blottir devant Netflix dans les bras de son homme. Boudant légèrement lorsqu’il était pris au boulot à son tour. Charisma négligeait un petit peu ses amis, mais à force, il savait que ce n’était pas contre eux. Celle qui la comprenait le mieux était sa meilleure amie de toujours, Grace. Cette dernière était également dans le domaine du médical et elle connaissait les horaires surchargés. Ce jour-là, Cha’ avait tout de même accepté la proposition de son amie d’aller manger chez elle ce soir. Ça ne pouvait pas lui faire de mal de changer un peu de la routine. Papoter de tout et de rien avec Grace lui ferait du bien et elle avait hâte de prendre son filleule dans ses bras.

Assise à la table, Charisma leva les yeux vers son amie qui lui offrait un verre de vin. Habituellement, elle aurait accepté sans hésitation, mais là, tout était différent. Pour les prochains mois, elle ne pouvait pas se le permettre. Depuis qu’elle avait appris être enceinte, la brunette avait commencé à faire attention à son alimentation et à prendre des vitamines pour s’assurer que son petit pois ne manque de rien. « C’est gentil Grace, mais je vais décliner ce soir. Je suis trop fatiguée, tu me connais, ça me rend malade. » dit-elle en riant légèrement. Grace savait très bien qu’il fallait que sa meilleure amie évite l’alcool lorsqu’elle était fatiguée. Elle ne le supportait pas du tout. De cette manière, Cha’ ne mentait pas totalement à sa meilleure amie. Elle lui cachait uniquement une partie de la vérité. La psychologue était réellement fatiguée, mais elle aurait pu se risquer au verre de vin si elle n’avait pas été enceinte. « Trevor ne devrait pas trop m’en vouloir. » ajouta-t-elle en souriant. Son frère était la connaissait par cœur. Lentement, la brune se mit à manger ses pâtes avec envie. « J’avais tellement faim. T’es la seule qui pense à me nourrir dans cette période de l’année ! Qu’est-ce que je ferais sans toi. » ajouta-t-elle toujours avec ce ton taquin. Quand elle travaillait autant, elle ne prenait pas le temps de manger. C’était son premier repas de la journée et il était bien mérité.

En ce temps de l’année, il n’était pas rare que les professionnels médicaux soient débordés. Avec l’approche des fêtes de fin d’années et des vacances, le manque de personnel venait lourdement peser dans notre charge de travail. Il était difficile de ne pas se faire emporter par le courant et d’en oublier notre vie à l’extérieur des murs de l’hôpital. Trouver une soirée où nous étions toutes les deux libres, Charisma et moi, relevait du miracle. Bien malgré que nous soyons belles-sœurs et que nos vies s’entrelaçaient intimement depuis des années, nous n’avions plus aussi fréquemment la chance de nous voir en tant que simples amies. Ça faisait déjà trop longtemps et le besoin de passer une soirée loin de notre quotidien nous ferait, à toutes les deux, le plus grand bien.

À une époque, nous avions l’habitude de sortir presque toutes les semaines. Enfin, Charisma était plus du genre à m’entrainer dans ses débauches que l’inverse. Avec l’âge adulte, la sagesse semblait vouloir nous rattraper et ce soir, ma meilleure amie était conviée à un souper à la maison. Entre notre discussion et une gorgée de vin, je ne m’offusquais pas qu’elle refuse de trinquer en ma compagnie. Il valait mieux qu’elle s’abstienne qu’être malade pour la simple prétention de me faire plaisir. Un haussement d’épaules vint en réponse à son refus.

« Pour une autre fois alors… »

Lui indiquais-je sans insister portant ma coupe à mes lèvres avant de me diriger vers le réfrigérateur et d’en sortir une bouteille d’eau pétillante qui conviendrait peut-être mieux à mon invitée.

« Trevor? Je ne me souviens même pas la dernière fois où il est rentré mangé avec nous. Il serait bien mal placer de te reprocher de refuser une coupe de vin. »

Lui fis-je savoir masquant l’amertume de mes paroles derrière un sourire rieur. Je lui en voulait de ne plus être aussi présent, mais une partie de moi ne souhaitait ne pas l’étouffer. En dépit du fait qu’il ne soit pas très enclin à s’ouvrir à moi, j’espérais que tout le temps qu’il passait à s’évader au travail aurait raison de l’aider à guérir de ses maux.

« Tu serais probablement en prison pour délinquance juvénile depuis quelques années. »

Me moquais-je répondant sans hésitation à l’affirmation de ma meilleure amie. Nous ne pouvions pas compter sur nos deux mains le nombre de fois où je l’avais sortie du pétrin sans même le savoir. J’exagérais clairement dans mes propos, mais ça ne manquait pas de m’amuser de lui souligner.

« Changement de sujet, mais, ça fait un moment que tu ne m’as pas parlé de ton Roméo? Ça va toujours entre vous? »

Parler de la misère amoureuse de Charisma me changerait les idées. En tant qu’épouse et misant sur la fidélité de mon mari, je ne pouvais que désapprouver cette idylle entre Arthur et Cha’. À ce jour, je ne connaissais aucune relation plus toxique que celle-là. Au-delà de mon respect pour le travail du Dr. @Arthur Rosenbach, je le détestais pour ce qu’il faisait endurer à ma protégée.

Mention: