(GRACE + SPENCER) life is unfair

La chaleur de Miami semblait m’avoir manqué plus que je ne l’aurais cru. Je me souvenais encore des automnes fraiches de New York, des premiers flocons de neige.. tout ça, c’était bien loin des plages, de la chaleur et du soleil de Miami en pleine saison hivernale. Je me faisais doucement à ce nouveau style de vie. Je savais que ma fille allait me rejoindre bientôt et je me demandais comment elle allait interagir avec mes autres enfants. Certes, personne ne connaitrait leurs véritables liens familiaux, sauf que j’espérais tout de même qu’ils puissent devenir amis. Après tout, en bossant également à l’hôpital Mercy, ils auraient sans doute à se côtoyer à leurs tours. Enfin, aujourd’hui, je devais rencontrer une famille dont l’enfant était atteint d’un cancer des os. Maladie horrible – particulièrement pour un jeune de cet âge et je savais que j’aurais à travailler avec la pédiatre Grace MacAllister – alias ma brue. J’avais hâte de faire sa rencontre et espérait qu’elle soit à la hauteur du cœur de mon fils. De me mêler à leurs vies était tout étrange, mais très excitant. J’appréciais de partir le matin et de rentrer à l’hôpital. Je n’étais peut-être pas Aaron MacAllister, sauf que je restais là à veiller sur eux. Une sorte d’ange gardien.

Longeant les longs couloirs – habillé de mon uniforme d’un bleu marin – je m’arrête finalement dans la salle de consultation. Je fis un petit hochement de la tête pour saluer l’un des médecins qui quittaient et je vis la jolie blonde au fond de la salle devant les écrans dont le babillard affichait des scans. J’avais fait mes propres recherches sur ma famille et j’avais évidemment trouvé leurs profils sur les réseaux sociaux. J’étais une bourde en informatique, mais on m’avait tout de même aidé. Je me demandais si je n’allais pas moi-même me créer mon propre profil… enfin, ce n’était pas pour toute suite. Je m’arrête donc. « Dr. MacAllister je suppose ? Je suis le Dr. Wellington, le chirurgien-oncologue. On m’a transféré sur votre cas. Je débarque tout juste à Miami. » Dis-je pour me présenter en lui tendant la main.

Lors de mon réveil ce matin, Trevor avait déjà quitté. Sur le comptoir, une simple note m’indiquait qu’il déposerait Aaron chez sa mère, car il faisait encore de la fièvre ce matin. C’était encore cette foutue grippe qui semblait lui coller à la peau malgré tous nos bons soins. Ça demeurait encore assez bénin et les antibiotiques qui lui avaient été prescrits semblaient l’aider à reprendre du mieux. Avant de prendre la direction de l’hôpital, j’envoyais un court message à Victoria, pour, à la fois, la remercier une millième fois et pour avoir des nouvelles.  

Cette journée au Mercy West serait particulièrement chargée. La tournée matinale des patients s’éternisait et les mauvaises nouvelles s’accumulaient dans les dossiers. Deux nouveaux patients venaient d’être admis en soins intensifs et un nourrisson avec une malformation congénitale avait sérieusement dépéri au cours des derniers 24h. Travailler avec les enfants pouvait être à la fois éprouvant et gratifiant. Il fallait souvent s’accrocher à ces sourires enfantins pourvus d’innocences puis relever ses manches en espérant que la prochaine heure soit meilleure.

Ma ronde se terminait avec l’un de mes patients de longue date. Un jeune garçon prénommé Jackson qui souffrait depuis plusieurs années d’un cancer qui ne cessait de refaire surface. Avant de le rencontrer, je survolais son dossier et les images de ses derniers scans. Cette fois, son état était pire que jamais et nous allions devoir mettre toutes nos ressources pour le tirer du gouffre. Si je pouvais m’occuper du suivi, du soulagement de ses douleurs et des autres troubles qui apparaitrait au cours de son hospitalisation, le traitement du cancer, la chirurgie, la radiothérapie et tout le reste dépassaient de loin mes compétences de pédiatre généraliste. Aujourd’hui, un certain Dr. Wellington dont la réputation faisait vent à l’hôpital devait me rejoindre afin d’aiguiller notre équipe et la famille sur la suite des choses.

Concentrée et relisant mes notes passées, je relevais le regard pour faire défiler les images de l’IRM et à l’instant même, je le vis entrer. Un homme de forte carrure dont la silhouette me rappelait étrangement celle de mon époux. Avec beaucoup de charisme, le cinquantenaire me tendit une main que je serai brièvement. Aussitôt amusée par sa déduction, je le corrigeais aussitôt sans m’offenser. Il n’était ni le premier, ni le dernier à faire l’erreur.

« Dre. Sullivan plutôt, Dr. MacAllister est mon mari. Je porte bien son nom, mais, ici, ça évite la confusion auprès des patients et des collègues. »

Expliquais-je brièvement. Après quelques péripéties de dossiers rangés dans les mauvaises cases ou de rendez-vous mal attribués, nous avions cru plus sage que je conserve mon nom de jeune fille.

« Oui, on m’a fait savoir que vous aviez déjà rencontré un cas comme celui de Jackson, nous avons de la chance que vous ayez choisi Mercy. En espérant que la ville vous plaise et que la chaleur ne vous incommodera pas trop! »  

À mon habitude, je ne suis pas du genre à papoter d’avantage au boulot et pour de faire, je lui tendis aussitôt une partie du dossier puis lui donnai accès à l’ordinateur où il pourrait consulter tous les résultats d’analyses.

« Jackson a eu son premier diagnostic à l’âge de 4 ans, un ostéosarcome de stade précoce que nous pensions simple à soigner. Après quelques mois en oncologie, nous avons découvert des métastases au niveau de la colonne vertébrale. Il n’a jamais eu de rémission, mais depuis 3 ans, les tumeurs étaient en latence et ne montraient aucun signe de progression. Dernièrement, Jackson a commencé à sentir de la faiblesse aux jambes. Les résultats de son scanneur nous ont alors révélé une croissance dans la cavité médullaire au niveau de la quatrième vertèbre lombaire… »

Me penchant sur l’écran, je lui indique avec le curseur la masse en question.

De me retrouver face à la femme de Trevor me rendais nerveux. Cette femme était d’une beauté et je voyais très bien que mon fils gardait les mêmes goûts que je ne pouvais avoir moi-même à mon tour. Cette femme semblait avoir beaucoup de présence et dégageais réellement quelque chose de fort. Je ne la connaissais pas encore et juste au premier regard, elle me plaisait beaucoup. Cette dernière m’informait qu’à l’hôpital, ils utilisaient son nom de jeune de fille comme but de différencier les autres médecins MacAllister de l’hôpital. Je grince des dents en réalisant que je venais de faire ma première bourde. Je tentais de calmer mes nerfs et d’avoir l’air le plus naturel qui soit. « Oh Dr. Sullivan, pardonnez-moi. J’ai discuté avec votre mari à une convention dernièrement et de fils en aiguille, en étant joint à votre département, j’ai déduit que vous étiez sa femme, donc que vous aviez son nom. » Mon explication semblait bonne. Je m’étais rattrapé avec facilité. Tout ça ne faisait que commencer. « Oui, mon patient souffrait des mêmes complications que le petit Jackson. Son traitement n’a pas été simple, sauf que j’ai utilisé une nouvelle technique que nous commencions à manier à Manhattan qui nous a permis d’irradier le cancer assez rapidement. Plus qu’à espérer que nous puissions offrir cette chance à ce gamin. » Je marque une pause. Que devais-je dire face à la chaleur de Miami. Je ne pouvais quand même pas dire que j’y étais habitué. « Je suis natif de Los Angeles, du coup, je connais ces grandes chaleurs. Ça me changera sans doute beaucoup des trentes dernières années à Manhattan, je suis ravi d’être ici et conquis par la beauté du paysage. » Ajoutais-je pour mettre un peu plus de surprise à ma présence en Floride. Ainsi face aux explications de ma collègue, j’observe les scanners qui se présentaient à moi. « Je vois. Forte présence d’ostéoïde dans la tumeur. Est-ce que le patient est prêt à ce que je le rencontre. Quels sont les traitements qu’administrer jusqu’à présent ? Pouvez-vous demander à une infirmière de me soumettre sa fiche de médicaments. J’aimerais y jeter un coup d’œil avant de rencontrer mon patient. » Ajoutais-je en observant attentivement les scanners.

Il n’était pas le premier à faire cette erreur. Loin de moi l’idée de m’en offusquer, je portais fièrement le nom de famille de mon époux. Toutefois, pour les raisons que je venais de souligner, je me devais de l’informer de cette modalité. Je m’amusais même de le voir justifier son étourderie puis j'insistais :

« Vous n’êtes pas le premier et probablement pas le dernier à faire cette déduction. Dans les faits, nous sommes trois MacAllister à travailler ici. Trevor, mon mari que vous avez déjà croisé et Victoria, sa mère, elle est en vacances pour 2 semaines, mais elle travaille également au département d’oncologie. »

L’informais-je sans non plus m’étendre sur le sujet. Nous avions plus sérieux à traiter et la famille de Jackson ne tarderait pas à s’impatienter. Jetant un coup d’œil en direction de l’horloge, 10h40, ce qui nous laissait encore une dizaine de minutes avant notre rendez-vous. Le temps pressait et je ne pouvais pas satisfaire ma curiosité médicale en le questionnant davantage sur ce premier cas. Si la rencontre se déroulait dans les délais prévus -ce qui m'étonnerait grandement- nous pourrions peut-être en discuter pendant l'heure du lunch. Le laissant consulter tous les documents qu'il me demandait, je signalais à l'infirmière de nous apporter sa fiche médicale.

"Présentement, nous avons mis en place en protocole visant à le soulager principalement de ses douleurs, il reçoit donc des patchs de fentanyl et du gabapentin. Il a aussi de l'hydromorphe orale qu'il peut prendre en entre-doses en cas de douleur."

Résumais-je au moment même où l’infirmière lui remettait le tout entre les mains. Profitant de cette interruptions je regroupais mes affaires quand la sonnerie de mon portable, m'indiquant un nouveau message, m'interpela. Posé sur le comptoir, l'écran d'accueil affichait le nom de Victoria et me laissait voir la première phrase écrite.

#Aaron fait 41 de fièvre. Tu peux te libérer? Je lui ai donné de l’ibuprofène, mais il vient de...#


À peine avais-je le temps de saisir l'appareil qu'il se mettait à vibrer affichant un appel entrant de ma belle-mère. Un peu gênée d'interrompre ma rencontre avec le docteur Wellington pour des affaires familiales, je ne pouvais quand même pas décliner l'appel.

"Pardon, je dois répondre!"


Je décrochais pour entre la voix d'Aaron, sanglotant et m'expliquant qu'il venait de vomir comme un dragon toutes ses céréales. Il me priait de venir le chercher et de le ramener à la maison, mais comme Victoria, je savais que ce ne serait pas possible avant le début de la soirée. Je m'éloignais un peu.

"Dit à mamie de venir te porter à l'hôpital. Tu pourras dormir dans la toilette, mais je vais devoir travailler d'accord? On ne peut pas aller à la maison Aaron... Je t'aime aussi mon chéri, maintenant calme-toi, arrête de pleurer, on se voit après diner."

mettant un terme à la conversation qui aurait pu durer plusieurs minutes encore. Revenant auprès de mon collègue, j'éteignais mon portable qui risquait de résonner dans les prochaines minutes.

"Excusez-moi. Mon fils est plutôt anxieux et surtout quand il est malade. Vous êtes déjà passé par là, vous avez une fille, non? Si je ne me trompe pas!."

J'ignorais d'où je tenais l'information précisément -probablement par Trevor- mais j'avais entendu dire par quelqu'un qu'il avait une fille, elle aussi travaillant dans le domaine médical, qui viendrait, sous peu, agrandir l'équipe de chirurgie.

Je gardais ce profond sourire qui m’excitait intérieurement. D’en apprendre plus au sujet de ma famille s’avérait plus intéressant que je ne l’aurais imaginé. Grace était une charmante femme et je l’appréciais déjà. Je comprenais ce que mon fils avait pu lui trouver. Elle était exquise. Elle ressemblait beaucoup à Victoria d’ailleurs. Je présumais que l’entente devait être bonne entres elles. « Oh je vois. C’est une histoire de famille. J’ai la chance d’avoir une fille également dans la branche de la chirurgie. » Avouais-je. Vivian faisait également partie intégrante de ma vie et je savais que d’apprendre que j’avais refait ma vie après toutes ses années serait surement un choc pour ceux que j’avais laissé derrière. Vivian devait me rejoindre pour faire son internat à Miami. Je ne pouvais qu’espérer qu’elle entretienne une belle relation avec sa famille. Le choc sera plus facile si je devais dévoiler mon grand secret un jour. « Il me tarde de les rencontrer. Enfin, j’ai croisé Trevor et Charisma à une convention de médecine dernièrement.. »

La situation avec mon nouveau patient semblait stable pour l’instant. Ce pauvre enfant, il fallait avoir le cœur solide à travailler en pédiatrie. J’avais beaucoup de compassion pour cette femme qui avait choisis une branche délicate. Je notais quelques détails au dossier et rapidement, j’avais un bon topo du statut de Jackson. C’est tandis que j’avais les yeux penchés dans son dossier que Grace s’excusait. Elle devait prendre un appel. « Non, pas de souci, allez-y. » Répondis-je poliment. Je venais d’ajouter quelques tests au planning que je cédulais directement via le fichier virtuel de l’hôpital. J’avais quelques thèses à écarter et son médecin ne semblait pas avoir pensé à jouer vers cette branche. Si on n’essayait pas, on n’obtiendrait aucun résultat non.

Je gardais l’oreille attentive face à la conversation de Grace. Aaron. Mon cœur se tordait à l’intérieur. Mon petit-fils avait été baptisé en mon honneur et cette pensée me rendait terriblement mal. J’étais touché, mais en même temps, j’imaginais déjà leur réaction au moment fatidique. Je vis Grace revenir et voilà qu’elle me parlait de ma fille. Je lui fis une moue souriante, bien qu’un peu malaisé. « Ah heuu oui oui, ça ne date pas d’hier, mais c’est toujours atroce de voir ses propres enfants mal au point. Je vais donc avoir la chance de faire la rencontre de ce petit bonhomme, Aaron c’est ça ? » Dis-je en ajustant mon sourire.

Je sentais que notre collaboration serait des plus intéressantes. Spencer possédait des connaissances qui dépassaient mon expertise et sans me laisser impressionner par sa prestigieuse réputation, j’appréciais son professionnalisme et sa présence d’esprit. Étrangement, quelque chose chez lui m’était familier. Peut-être n’était-ce que sa manière de parler? J’étais incapable de pointer précisément ce qui me donnait cette impression.

« Ça ne saura tarder. Cet hôpital est plus petit que l’on peut croire. La rencontre de mon mari vous a plutôt marquée? Cela fait deux fois que vous me dites que vous l’avez rencontré à la convention? »

Lui fis-je remarquer, moqueuse et sans masquer ce sourire amusé qui soulignait la taquinerie. J’apprenais par le fait même qu’à la convention,  il avait aussi croisé ma belle-sœur et meilleure amie, Charisma. Pas étonnant! Trevor et Charisma sont deux vrais inséparables! On ne pouvait pas leur reprocher d’être aussi attachés l’un à l’autre après toutes les épreuves qu’ils avaient traversées pendant leur enfance.

Brièvement, l’appel d’Aaron interrompit notre rencontre. Je me dépêchais de mettre fin à la conversation et de revenir auprès de mon collègue. Être mère m’obligeait à revoir ma façon de travailler et surtout, à mettre de côté ma carrière pour être présente pour mon fils. Si Trevor se le permettait abusivement et si lui ne répondait jamais à sa mère lorsqu’elle gardait le petit, j’en prenais l’entière responsabilité. Depuis 3 ans, je n’acceptais que très rarement d’ajouter des heures à mon horaire et planifiaient mes jours de gardes en fonction de ceux de Trevor.

« Aaron, oui. Il n’a rien de grave, vous savez. Seulement besoin d’être rassuré. Sa grand-mère viendra le porter après diner, alors, vous aurez peut-être la chance de le croiser, oui. Si vous êtes libre, nous pourrions diner ensemble, j'aimerais bien que vous me parliez d'avantage du cas dont vous me parliez plus tôt.»

Très vite, je passais à un autre sujet. Le temps passant, nous allions devoir nous diriger vers la salle de consultation où nous attendait la famille de Jackson. Mon talkie s’activait à l’instant pour me confirmer l’arrivée des parents. M’occupant de remettre rapidement le dossier en ordre et y lisait les notes que Spencer y avait écrites avant d’inviter mon collègue à me suivre. Juste avant d’entrer dans la salle, je m’arrêtais, la main sur la poignée.

« Ho oui, j’oubliais! Jackson est très bavard et ses parents… bref, il faut parfois intervenir si on veut être capable de placer un mot! »

Il entrait et je refermais derrière nous. Les parents nous saluaient les premiers, leurs gestes sont maladroits et la nervosité est perceptible dans leur voix. Quel parent ne le serait pas dans cette situation? En pédiatrie, les médecins se devaient rassurer le noyau familial et traiter le groupe comme un seul individu. Malgré que notre patient soit Jackson, ses tuteurs, jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de prendre lui-même les décisions, choisiraient pour lui.

« Jackson, monsieur et madame Mckeal, je vous présente le docteur Wellington, chirurgien oncologue. Il m’assistera pour la suite du traitement de Jackson, car, comme nous en avions discuté la dernière fois, une chirurgie est obligatoire si nous voulons garder toutes les chances de notre côté. »