Premier rendez vous sur convocation (pv Nawel Smith)

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« De toute façon, vous passez votre temps ici, une patiente en plus ou moins, ça ne vous changera rien ». C’est ce que m’a lancé en pleine figure mon chef. C’est vrai. Il n’a pas tord. Mais ça blesse, ça titille de savoir que les autres s’en rendent compte. Je passe beaucoup de temps à l’hôpital, pour fuir mon appartement, pour ne pas que ma mère débarque avec Noa. Comme ça, quand elle appelle, je me met dans un couloir un peu plus bruyant que les autres et je lui dis que je suis au boulot. Elle passe souvent le soir-même mais elle ne reste jamais bien longtemps. D’habitude, je passe, repasse dans les couloirs, je vais voir d’autres collègues, ils me parlent de leurs patients, de leurs problèmes familiaux, jusqu’à ce qu’ils se rendent compte qu’ils ont Nawel Smith devant eux et qu’ils pensent qu’ils n’ont pas à se plaindre par rapport à ce que j’ai vécu. Mais moi, j’aime les entendre, j’aime savoir qu’au final, je ne suis pas seule à avoir des problèmes. C’est égoïste mais ça me rassure. Puis j’aimerais leur dire d’aller voir leur conjoint quand ils se sont disputés mais ce ne serait pas honnête, moi je ne le fais pas.

Donc, aujourd’hui, il y a cette nouvelle patiente. Il devrait savoir qu’avoir des patients c’est parfois compliqué psychologiquement, il devrait savoir que je suis assez fragile psychologiquement en ce moment. Mais bon, ça me changera les idées. Assise derrière mon bureau, je regarde ce qu’il y a dessus. Du bordel, alors que la journée ne vient que de commencer. Je ressemble un peu mes affaires en me levant. Ma main tape contre un cadre photo qui trône près de mon ordinateur. Voilà plusieurs temps que je ne l’avais pas vu, que je n’y avais pas fait attention. Je souffle en voyant le cadre photo trop grand pour une simple photo de mes deux enfants. Justin et Noa. Et dire, qu’il y avait une photo de Charlie avec mais je l’ai enlever. Je renverse la photo, face contre le bureau pour ne plus les voir, pour l’oublier à nouveau. Mes yeux se mouillent, il est temps pour moi de faire entrer cette nouvelle patiente dans mon bureau. Je sors vers la salle d’attente. Un homme, patient depuis mon arrivée à l’hôpital il y a trente ans me salut. Il espère qu’en faisant ça, je le prendrais en premier. Je lui souris et appelle :

« Amelia Davis ? »

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Personne n’aime venir à l’hôpital, que l’on soit patient ou médecin. Dans le premier cas, on y vient par défaut, souvent par dégoût. La plupart du temps on ne nous apprend pas de bonnes nouvelles, en tout cas c’est rare. Je pense que dans ma vie de médecin, en cinq ans, j’ai dû apporter qu’une fois une bonne nouvelle. Souvent on dit que l’on continue les traitements, qu’on le renforce, que c’est de pire en pire. Je me souviens de cette fois, cette unique fois, où j’ai appris à un petit garçon qu’il allait avoir un nouveau coeur, certes il allait avoir un traitement mais il ne serait pas si horrible que ça, puis, il pourrait faire du sport, du foot avec ses copains. Je crois que c’est la seule fois où j’ai vraiment aimé mon métier. Son sourire m’a remplis de joie. Dans le deuxième cas, celui du médecin, on ne vient pas ici par pur plaisir. On n’aime pas forcément opérer, on n’aime pas avoir la vie de quelqu’un entre nos mains. Certes, on a un salaire à la fin du mois, un bon salaire pour certains mais c’est en contre partis de ce que l’on fait dans nos journées.

Je pense que je tiens trop à mes patients. J’aime faire durer les rendez-vous, juste pour savoir si la personne est apte à bien repartir chez elle. Quand on annonce une mauvaise nouvelle, on peut arrondir les angles, dire que ça ira mieux, un jour, mais on ne sait pas quand, mais on peut aussi être direct. C’est toujours difficile de les laisser repartir. Je prend du temps entre chaque rendez-vous, me posant des questions que je ne devrais pas forcément me poser. Comment se sent la personne dès que ma porte est fermée ?

Quand je vois la salle d’attente, je comprend qu’un simple problème peut toucher toute une famille. Souvent, les gens sont accompagnés, surtout les jeunes. Quelques fois, ils sont seuls. Il y avait cette adolescente qui était venue seule. Sa mère avait oublié la date du rendez-vous et elle ne lui avait pas rappeler. Je ne pouvais pas faire grand-chose, je ne pouvais pas prendre de décisions sans l’accord d’un adulte, mais ça lui avait fait du bien de venir seule, de pouvoir parler, de ne pas voir le stress, ni la tristesse de sa mère. J’appelle cette Amelia Davis. Elle se lève presque aussitôt. Il me faut quelques secondes pour la reconnaître. Son visage se transforme un peu quand elle me voit, comme si ça la rassurait. Puis ça me revient. Il s’agit de la femme du bar.

J’avais eu une longue journée, pas l’envie de rentrer, toujours retarder le moment où ma mère vient à l’appartement. Je suis allée jusqu’au bar qui ne se trouve pas trop loin de l’hôpital. Et on s’est rencontré là-bas. Elle aussi avait une longue journée. Le fait de se connaître ne gêne pas mes gestes professionnels qui est de lui tendre ma main pour qu’elle la sert.

« Bonjour. De mon côté, il n’y a aucun problème d’avoir un patient supplémentaire. Cependant, si ça vous gêne que ce soit moi, ce qui peut être compréhensible, je peux vous rediriger vers un autre médecin. »

Je l’invite à rentrer dans le bureau et sans lui laisser le temps de me répondre je rajoute.

« Sauf que cet autre médecin ne sera pas aussi bien que moi »