Friday night . Trevor&Grace

La journée avait été extrêmement longue, même si nous avions prévu de prendre une pause et de diner ensemble, Trevor et moi ne nous étions à peine s'entrevoir dans les couloirs de l’hôpital. Parfois, il m’arrivait d’avoir l’impression que nous n’étions que deux médecins, nous croisant ici et là, n’ayant que pour seul point commun le fait de travailler dans le même établissement. Nos horaires bien remplis, des cas s’ajoutant à nos listes de rendez-vous et Trevor ayant accepté la garde de nuit, je n’espérais même pas que nous puissions reporter notre tête-à-tête à ce soir.

Je rentrais vers 18h00 après m’être arrêtée chez la gardienne pour récupérer Aaron. Encore fiévreux, il se portait déjà mieux qu’au matin. Depuis trois jours notre fils semblait combattre un vilain virus. Rien d’alarmant! À cet âge, il s’en remettrait rapidement. À 20h00, après avoir dévoré son repas et pris un bain, je le mettais au lit. C’est en sortant de sa chambre que je tombai nez à nez avec son père. D’abord surprise, un léger sourire ne tarda pas à s’installer aux coins de mes lèvres, ravie qu’il soit là.

« Sa fièvre est encore élevée, mais il s’est endormi! »

L’informais-je en refermant partiellement la porte de la chambre de notre enfant.

« Je suis heureuse que tu ais pu rentrer tôt ce soir, je pensais que tu avais une chirurgie à ton horaire… »

Loin de moi l’idée de lui faire un reproche, le travail a toujours été son exutoire. N’empêche, à force de s’y perdre, il me donnait parfois l’impression de nous oublier. Me rapprochant de lui, je vins lui subtiliser un court baiser goutant sur ses lèvres cette saveur caramélisée et sucrée si caractéristique du whisky. Dernièrement, il lui arrivait fréquemment de prendre un verre le soir pour se détendre. Éventuellement, nous allions devoir aborder le sujet, mais pas de suite. Trevor est assez responsable pour ne pas dépasser les bornes et je ne suis pas sa mère.

« J’allais sous la douche, tu m’accompagnes? Après je te ferai réchauffer une assiette si tu as faim. »

Lui offrais-je. Me demandant à quand remontait la dernière fois où nous avions pu partager une douche, un souper ou même notre lit autrement que pour dormir? Franchement, je l’ignorais et ça n’aidait en rien notre couple. Nous vivions plus comme des colocataires que comme un jeune couple.

Le mal-être de Trevor remontait à plus longtemps qu’on pouvait le croire. Le passé s’acharnait sur lui et le ramenait à une époque qui l’avait changé à jamais. Aujourd’hui, avec des années de reculs, faire un lien de causes à effets devenait presque impossible. Son état se justifiait difficilement alors que, depuis la naissance d’Aaron, nous avions enfin eux la famille dont nous rêvions. Puis, dernièrement, nous n’avions que de rares occasions de nous retrouver et de nous parler. Je ne pouvais pas me douter de la profondeur de ses blessures.

« C’est la saison de la grippe. Beaucoup d’enfants sont malades en ce moment. »

Dis-je au sujet de notre fils. En tant que pédiatre, je voyais tous les jours un nombre incalculable d’enfants de l’âge du nôtre souffrir de ces mêmes symptômes. Sa fièvre ne durait que depuis 3 jours et normalement on disait aux parents de ne pas s’inquiéter jusqu’au cinquième. Si son état ne s’améliorait pas d’ici là, nous verrions à lui faire passer quelques tests. Après tout, des médecins comment parents, il ne lui arriverait rien de grave.

« Il aurait été content de te voir aussi. Il le sera encore plus demain matin, je travaille tôt, vous pourriez déjeuner en tête à tête toi et lui? »

Tentais-je pour lui remonter le moral en le voyant essuyer sa déception dans un soupir. Tous les deux ne se voyaient plus aussi souvent qu’avant et ça les affectait tout autant l’un que l’autre. Pour Aaron, son père était un héros, son modèle et il le vénérait presque autant qu’un dieu. Devant Trevor, mon autorité envers notre fils perdait toute sa valeur. Notre garçon préférait de loin se plier aux exigences de son merveilleux papa.

J’essayais surtout de faire abstraction de l’attitude qu’il avait. Il soupirait, répondait avec froideur à des gestes d’affections pourtant communs pour un couple. Surtout, il ne me fallait pas le prendre trop personnel ou commencer à me faire des scénarios. Il n’allait pas bien, ça se justifiait simplement et uniquement par cela. Voyant l’hésitation qu’il eut à me rejoindre pour notre douche, je m’apprêtais à essuyer un refus et fut plutôt surpris qu’il accepte. Automatiquement, un sourire s’immisça à la commissure de mes lèvres, s’agrandissant au moment où il vint glisser ses mains autour de ma taille. Mes bras autour de ses épaules, je me lovais dans ses bras et lui caressait doucement la nuque. Ses excuses me tordirent le cœur, j’ignorais quoi lui répondre sans non plus avoir l’impression qu’il me devait quoi que ce soit.

« Pourquoi tu me dis ça? Je sais que ça ne va pas dernièrement, que tu ne vas pas bien. Mais, tu as le droit de ne pas bien aller. Ça nous arrive tous… et tu sais que je suis là, qu’Aaron, ta mère, ta sœur… on est tous là si tu as envie d’en parler. »

Lui fis-je savoir en caressant l’arrière de sa nuque d’une main et laissant la pointe de mes doigts glisser à la racine de ses cheveux. Nous savions tous les deux que notre couple ne se portait plus aussi bien qu’avant et en souffrions également à notre manière. Le pire dans tout ça? C’est qu’il ne m’apparaissait ni avoir aucune solution magique. Si Trevor continuait à travailler autant, si nous passions notre temps à ignorer le problème, nous finirions par oublier les raisons qui nous avaient poussés à nous unir.

« Et si l'on planifiait de prendre quelques jours de repos? On pourrait partir tous les trois? Juste toi, Aaron, moi et la nature. Ça te dirait? »

Lui offris-je me reculant un peu pour trouver son regard. Ça ne guérirait pas son mal, mais déjà, passer du temps en famille et en plein air, loin des murs du Mercy, le libèrerait de quelques tensions.