Eat me feat Stanislas

Encore une bonne journée de travail. Stan s’étira, content de lui. L’effort était payant, il s’en rendait de plus en plus compte. Il avait investi beaucoup dans ce restaurant, du temps, de l’argent, il avait même embarqué son meilleur ami dans cette aventure. Il ne pouvait être qu’heureux de voir que ces risques pris étaient payants, que ça n’avait pas été seulement un rêve. Alors certes, il avait de longue journée, mais il faisait ce qu’il aimait. D’ailleurs, elle n’était pas finie puisqu’il avait encore une réunion pour décider de quelques nouveaux trucs pour le restaurant. Enfin, une réunion, ça serait plutôt une discussion avec son meilleur ami et associé. Ce dernier prenait d’ailleurs leurs « réunions » beaucoup trop à cœur mais c’est ce qui faisait son charme, sans doute. Comme beaucoup d’autres choses qui faisaient son charme. Souvent, Stan, il avait ce souvenir qui revenait, ce baiser, cette soirée. Il s’y perdait, se rappeler la douceur de ses lèvres contre les siennes, il se rappelait aussi qu’il n’en avait jamais reparlé avec lui. Souvent, Stan, il regardait son meilleur ami autrement qu’un simple ami. Il voyait la mèche de cheveux qu’il remettait parfois derrière son oreiller, il voyait les mimiques qu’il faisait lorsqu’il était concentré, il observait son corps bouger dans la cuisine. Il se giflait mentalement d’avoir de telles pensées. Il avait eu le temps de troquer sa veste de cuisinier pour un tshirt plus confortable. Il prit place, et Solal le rejoignit tout de suite. Il le vit arriver de loin, avec ses tracts et cette mine sérieuse qu’il connaissait si bien. Il retint à rire et se concentra pour l'écouter parler. Encore plus écologique ? On est pas déjà assez écologique ? Il soupira alors. Il avait déjà fait une concession pour proposer de la cuisine vegan, lui, carnivore convaincu, sur les pailles en plastique aussi, elles étaient maintenant en aluminium et réutilisable. Il se méfiait des idées de Solal. Ce n’est pas qu’elles étaient mauvaises, elles pourraient éventuellement convenir à quelqu’un d’autre, mais pas toutes et pas toujours à Stan. Sinon, j’ai discuté avec une de ces applis de restaurant à emporter, ils sont d’accord pour nous ajouter à leur site. Il connaissait déjà son avis sur la question pour avoir eu un long débat à leur dernière réunion. Mais il était têtu et il tenait à ce projet. Ils n’attendent plus que ton accord. Il posa sa tête dans sa main, lui fit les yeux doux.

Il attendait le grand discours moralisateur de Solal. Parce qu’il arrivait toujours, quoi qu’il fasse, quoi qu’il dise. Parfois, ça l’amusait, d’autres fois, ça l’agaçait juste et il finissait par lui dire de se calmer. Il respectait son point de vue, ses opinions, son régime alimentaire, ses valeurs. Mais il ne voulait pas qu’on les lui impose, comme Stan n’imposait pas son mode de vie à son meilleur ami. Stan était tout sauf un grand défenseur de la cause animale ou un écologiste engagé. Il aimait les animaux et il triait ses déchets, comme la plupart des gens. C’était bien assez pour lui. Donc oui, bien évidemment, il savait ce qu’il pouvait en penser. Personne ne les oblige à faire ça, ils ont autant besoin de faire ce métier qu’on aurait besoin d’une nouvelle clientèle. Il riposta alors, levant les yeux au ciel. Une forme d’esclavage moderne. Il avait enchaîné les petits boulots quand il était gamin, il avait commencé comme plongeur, il avait couru d’un bout à l’autre de la ville pour faire les courses du chef de l’époque, si ça, c’était pas de l’esclavage moderne. Et pourtant, il lui en était reconnaissant, il n’aurait pas été l’homme qu’il est aujourd’hui s’il n’était pas passé par tout ça. Il avait commencé au bas de l’échelle pour devenir chef à son tour. Moi je veux y participer. Et nos clients viennent pour bien manger et parce qu’éventuellement, on fait quelques efforts niveau écologie, c’est pas pour autant que le resto doit devenir un lieu pour ta propagande. Le mot était certes un peu fort, mais le résultat était le même. Il le voyait encore discuter avec des clients des aménagements qu’il l’avait forcé à faire. À sa pique, il ne put s’empêcher de rire. Mais ça signifiait engager quelqu’un et faire des travaux. Ça, on peut le faire. Mais sur le jour de fermeture du resto, j’veux pas que ça nous empêche d’ouvrir, monsieur vert. Et ses yeux se plantèrent dans les siens, inévitablement. Il allait le rendre fou avec ces idées. T’es libre ce soir ? Ça te dit qu’on mange ici puis qu’on se fasse un ciné ? Il demanda finalement, déviant totalement de cette discussion écolo/vélo. Il avait besoin de prendre l’air.

Certes. Il lui accordait un point. Mais Stan détestait avoir tort. Il était têtu et la plupart du temps avait plutôt un caractère assez mauvais. Il leva les yeux au ciel et prit la même position que son meilleur ami, soit les bras croisés sur son torse l’air agacé. Parfois, il a l’impression qu’il aurait pu être son mime et inversement. Bien, alors si tu choisissais une enseigne qui pourrait convenir à ton éthique ? Il demanda finalement. Stan aurait ce qu’il voulait et Solal aussi. Il se rendit alors compte que ses paroles l’avaient blessé lorsqu’il insista sur le mot propagande. Il s’en voulut presque lorsqu’il vit sa mine s’assombrir. Il s’empêcha de justesse de corriger sa définition de la propagande se disant qu’il ne valait mieux pas qu’il s’enfonce plus. Il se sentait déjà embourbé jusqu’à la taille et en sortir allait peut être s’avérer compliqué. Mais il n’y pouvait rien si l'écologie commençait à lui sortir par les yeux. Tout était prétexte au changement et Stan tenait à son bon vieux restaurant. Mais il tenait aussi à Solal et ses idées, il devait le reconnaître, n’étaient toutes pas si mauvaises que ça. Il prit un air ahuri quand il sortit dramatiquement en parlant d’Hitler. Il le regarda sortir son paquet de clope puis claquer la porte du restaurant. Ça le fit quand même rire. Imaginer Solal grimer en Hitler était légèrement comique bien que le personnage ne le soit pas. Quel drama. Il pensa quand même en se passant une main sur le visage. Il s’apprêtait à faire son mea culpa, juste pour passer une bonne soirée en compagnie de son meilleur ami. Tant pis, il aurait l’estomac vide. Il sortit à son tour, après avoir éteint les lumières et fermé le restaurant. Il le vit adosser contre un mur, la clope au bec. Tu crois que c’est écolo de fumer ? Il glissa alors en prenant place à côté, contre le mur. Il allait se faire sûrement disputer encore mais tant pis. De toute façon, il ne fumait pas et ses poumons ne s’en portaient que mieux. Il resta silencieux quelques secondes avant de reprendre. Je suis désolé, j’ai été maladroit, le mot propagande était sans doute trop fort pour l’idée que je voulais exprimer. Il s’appliquait dans ses excuses. Mais juste parce que c’était Solal et qu’il occupait une place particulière dans son cœur. Et pour faire preuve de ma bonne volonté, je te laisse choisir le film. Il osa un sourire, même s’il se doutait que ça ne pouvait pas être aussi facile.

Il hocha la tête. Il acceptait les critères que l’enseigne devait avoir, Stan vérifierait pour que son meilleur ami soit satisfait de cette future collaboration. Il leva les yeux au ciel. Il savait qu’il était vexé, il savait qu’il n’aurait pas du dire ça, mais est ce que Solal devait vraiment passer ses nerfs sur son paquet de clopes ? T’es stupide quand tu t’y mets. Il rétorque, se décolle du mur pour se mettre en face de son meilleur ami. Il savait que ses excuses n’allaient pas suffire, il le connaissait et même s’il avait eu l’infime espoir, la réflexion sur sa consommation de clope n’allait pas arranger les choses. Il se pinça l’arête du nez, retint un soupire de désespoir et d’agaçant. Oui, il était agacé que parfois, il prenne les choses tant à cœur alors que pour le cuisinier, c’était juste un mot lancé au hasard. Je n’ai jamais dit que tu étais un dictateur, tu sur-interprètes. Pour ce qui était d’imposer, il ne répondit pas. Il ne lui imposait rien, mais il pouvait se montrer insistant. Et parfois, pour Stan, accepter était la meilleure façon de passer à autre chose. Mais il bloqua sur le fait qu’il lui proposait de partir. Ça lui fit mal, que l’idée lui effleure l’esprit. Ils l’avaient monté ensemble ce projet, ils y avaient investi du temps à deux, ils avaient surmonté embûches pour finalement qu’il lui suggère de partir parce qu’un petit mot avait dépasser sa pensée. Qu’est ce qui te prends ? C'était à lui de s’énerver maintenant. Parce qu’il ne comprenait pas et quand Stan ne comprenait pas, la plupart du temps, ça l’énervait. Tu oses me poser la question ? Putain tu remets tout ce qu’on a fait en question parce que j’ai dit le mot de trop ? Il prit son temps pour continuer sa réponse. S’il lui demandait pourquoi il restait avec lui, il allait lui répondre. Je reste avec toi parce que t’es mon meilleur ami, mon partenaire. Parce qu’il l’aimait, surtout. Mais ça, il ne pouvait pas le dire, ça, c’était son secret, le truc qu’il gardait caché au fond de son cœur. C’était trop intime pour qu’il ose lui dire, même sous le coup de la colère, il ne se le permettrait pas. Parce que même si t’es le dictateur du veganisme, j’ai envie de continuer avec toi et avec personne d’autre. Pourtant, il y avait quelque chose qu’il avait envie d’éclaircir, l’histoire du baiser, jamais évoqué. Il n’avait pas assez de courage pour le confronter, ou peut être devait-il encore une fois juste l’embrasser pour le faire taire. Mais il se contenta juste de plonger son regard dans le sien, un regard qui valait sûrement mille mots.

Il eut un rire jaune. C’était une façon de parler, mais il commençait vraiment à le trouver stupide. Pourquoi il s’emportait comme ça, tout d’un coup ? Ils avaient déjà eu des dizaines de disputes avant, des centaines peut être qui à chaque fois partaient de quelque chose d’aussi futile que ça. Mais cette fois ci, c'était différent et il ne savait pas pourquoi. Il était à la fois énervé et à la fois soucieux de l’état d’esprit de Solal. Ce dernier restait campé sur ses positions et au lieu de passer à autre chose, chercher la faille dans ce que son meilleur ami avait dit pour l’enfoncer encore plus. Il ne comprenait pas ce comportement et ça le rendait dingue. Au fond, il n’avait rien fait de mal. Il était comme d’habitude, avec la parole de trop, sûr de lui, trop sans doute. Je te l’aurais dit si ça ne m’avait pas plu. Il répliqua rapidement, agacé. Solal cherchait un truc, il allait sans doute le trouver. Et Stan était persuadé que ce qu’il allait trouver n’allait pas lui plaire. Le manque d’adrénaline qui l’avait empêché de faire certaines choses quelques minutes plus tôt venait d’affluer dans ses veines. Et ce qu’il entendit l’acheva. Il disait ça presque calmement, ça avait le don d’agacer encore plus Stan. La clope qu’il ralluma ensuite alluma ce feu dans le corps du cuisinier. Il prenait tout au premier degré, même avec l’ironie qu’avait tenté l’homme pour désamorcer la bombe. Dieu qu’il avait envie de prendre cette clope, de l’écraser et de le faire taire une bonne fois pour toute. Les réponses sont, parce que et non. Étonnamment il avait repris son ton calme. Pire que ça, il s’avança vers son meilleur ami et appliqua à la lettre ce qu’il avait envie de faire. Il lui prit sa clope qu’il prit un malin plaisir à écraser sous la semelle de sa chaussure. Bloqué contre le mur, Solal était bloqué. Alors il fit la deuxième chose qu’il mourrait d’envie de faire. Il posa ses deux mains sur les joues du brun, se pencha pour lui voler un baiser, pour le faire taire une bonne fois pour toute et parce qu’il voulait raviver ce souvenir si délicieux. Tu comprends pourquoi je ne peux pas me passer de toi ? Y’aurait sûrement pas de ciné ce soir, il le savait. Alors il se contenta de reculer et regarder l’heure. Je vais sûrement rentrer finalement. Il prend un air concentré, et s’apprête à entamer le chemin jusqu’à chez lui. Sauf si Solal lui demande de rester. Mais il sait qu’il ne le fera pas.