yet brokenly live on ~ ft. holden

@HOLDEN FITZPATRICK ~ YET BROKENLY LIVE ON
Les premières lueurs du jour, manifestation timide d'un astre qui la veille les avait tous abandonnés, scintillaient faiblement à la surface des flots. En cette lente éclosion de matinée ensoleillée, la mer achevait d'envahir la ville. Elle avait unilatéralement brisé leur accord tacite et millénaire de cohabitation pacifique, pour inonder ses rues, conquérir ses bâtiments quand elle ne les avait pas emportés, et imprégner l'air de ses relents salés. Les populations marine et humaine se rencontraient en des lieux insolites, à mesure qu'une famille de poissons quittait avec dédain l'habitacle d'une voiture, chassés par un propriétaire mécontents, ou qu'une colonie d'algues se voyait balancer hors du canapé durement colonisé. Le tumulte s'était enfin s'apaisé, la fin du premier round contre une nature protestant pour ses droits, à mesure que ses courants naturels se réchauffaient. Inéluctable. Pourtant, le cœur de Vittoria battait à ton rompre contre les parois de sa cage thoracique, prêt à se décrocher, entraînant dans sa chute ses organes. « Charlie ! CHARLIE ! » hurlait-elle, sans aucune pitié pour sa gorge, ses cordes vocales et les oreilles des gens autour. Sa petite silhouette, pantalon d'infirmière et tunique fluide envahie de boue et d'eau de mer, fendait non sans peine l'eau qui lui arrivait aux genoux, en direction de la petite école aux murs peinturlurés de couleurs pastel, dont les décorations avant-gardistes représentant des enfants heureux d'aller apprendre de concert le calcul mental et les douleurs associées à la scoliose, avaient disparu de ses pelouses bien vertes aujourd'hui inondées. Les fenêtres aux vitres éclatées scrutaient l'avenue comme de grands yeux noirs sans pupilles ni paupières. Elles ne résonnaient d'aucun cri, d'aucun rire, d'aucun roulement de trottinette sur l'asphalte. Une réalité morte qui frappa la jeune mère en plein cœur. C'était la première fois qu'elle arrivait en retard à l'école pour venir chercher Charlie. Son fils, son seul et unique enfant, ce autour de quoi était fondé la totalité de son univers. Ses appels désespérés redoublèrent. « CHARLIE ! C-H-A-R-L-I-E ?! » Dans le seul et unique espoir que sa petite tête brune surgisse des ténèbres, son plus beau des sourires accrochés à ses lèvres. Son illusion fantomatique dansait devant ses yeux

Son chemin s’est séparé de celui de Maxine, tous deux rappelés à l’ordre par les obligations respectives. Il n’a plus un regard en arrière, s’efforce d’arracher ses yeux à la tente noire – celle qui provoque les larmes et les sanglots parce qu’il sait qu’il n’a personne qui s’y trouverait. Il a besoin d’y croire, en tout cas, pour ne pas s’effondrer tandis qu’il se fraie un chemin. Sans téléphone, encore dans ses vêtements trempés, Fitz se faufile à travers les rues. Il s’est débrouillé pour passer un coup de fil à l’hôpital, essayer de joindre Vittoria mais ses collègues lui ont simplement dit qu’elle était déjà partie et il a compris. Charlie. Le sang glacé, il court sur les flaques d’eau qui persistent, l’esprit occupé par le fils auquel il n’a pas eu le temps de penser toute la journée et sa mère. Il ne pense à rien parce que s’il commence à se laisser aller, il sera incapable de se relever. Pas une troisième fois – pas après son père, pas après Kyle. Il joue des coudes, aide des groupes à rejoindre le campement improvisé malgré lui, leur demande d’où ils viennent sans savoir s’il espère qu’ils donneront le nom de l’école de Charlie ou un quartier opposé parce que les deux options le terrifient. Ne pas savoir le paralyse mais il s’efforce de continuer, aperçoit finalement le toit du bâtiment scolaire se dresser et il redouble d’effort, les muscles épuisés. L’immense coure est inondée, les fenêtres ne sont que des débris de verre qui se propagent sous l’eau et il s’arrête soudainement, la respiration coupée et les jambes flageolantes. Il imagine le pire, Fitz, parce qu’il n’y a rien d’autre qu’il puisse imaginer devant cette vision et il ferme les yeux une miliseconde. L’envie d’hurler, l’envie de frapper. L’envie de pleurer, enfin. Il vacille, pourrait s’effondrer quand la voix de Vicki lui parvient, teintée d’une panique qui lui fait mal au cœur et il se prend quelques secondes pour souffler avant de se diriger vers la voix de son ex-femme. « Vicki ! » Il l’aperçoit finalement, sa tenue d’infirmière et sa tête brune et il l’appelle à nouveau pour attirer son attention, la rejoint en enjambées difficiles, l’enlace aussitôt. « Tu vas bien ? » Il sait qu’il devrait s’inquiéter pour Charlie – qu’elle s’inquiète sûrement plus pour Charlie, mais elle a toujours été sa priorité, à lui, parce qu’elle est son rock même maintenant. Alors il la serre un peu plus contre son torse, la tête tombant jusque dans le creux de son cou parce que si elle est là, alors ils vont retrouver Charlie (et Charlie ira bien parce qu’il n’aura pas d’autres choix que d’aller bien). Il ravale les larmes et fait taire la voix angoissée qui résonne dans ses tempes, qui voudrait lui soulever le cœur tandis qu’il s’arrache à elle. « L’école est vide, Vitto. » Il ne sait pas pourquoi il le précise, il n’est même pas allé vérifier mais il connaît les protocoles d’urgence et sans doute que l’école a été évacuée pour rejoindre un point plus haut. « Ils ont dû évacuer pour trouver un abri en altitude. Ou rejoindre un campement s’il y a eu des blessés. » Il sait que sa voix chevrote, qu’elle risque de se rompre à tout instant mais il essaie de ne pas s’en occuper.

@HOLDEN FITZPATRICK ~ YET BROKENLY LIVE ON
Vicki ! Les deux syllabes vibrèrent dans l'atmosphère, transpercèrent les lourdes particules de silence dont elle était chargée, et vinrent frapper les tympans de ses oreilles bourdonnantes. Tous les bruits s'abolirent, du bruissements de l'eau, à ses cris désespérés dans le silence terrible... Vittoria se contorsionna, se tourna dans les sens, sans que ses yeux aveuglés ne parvinssent à trouver l'origine de cet appel. Sorti de nulle part. C'est alors que deux bras puissants s'enroulèrent autour de sa taille. Une étreinte et un parfum l'enveloppèrent, qu'elle aurait reconnus entre mille. Holden. Les larmes lui montèrent aux yeux, alors que ses propres bras glissaient jusqu'au cou, l'attirant davantage contre elle avec tout ce qui lui restait d'énergie. « Holden... » souffla sa voix faible, luttant contre les sanglots dont sa gorge était saisie. « Holden Holden Holden... » Ses mains fourragèrent entre ses cheveux bruns, comme pour s'assurer qu'ils étaient bien réels, qu'Holden était bien là, que le corps qu'elle serrait n'était pas le fruit de sa folie naissante. Sa présence ici ne pouvait signifier qu'une chose : elle approchait du but. Charlie n'était plus qu'à un simple battement de cœur, qu'à un simple battement de paupière. « Grazie a dio tu n'as rien. » Elle prit son visage entre ses deux mains pour s'en assurer. Ses deux grands yeux bleus étaient là, cernés et emplis de larmes, mais bien là. Ses lèvres, ses dents, son nez un peu de guingois, rafistolés après bien des combats... Le boxeur, l'ex-mari, le père. C'était bien lui. Ils respiraient le même, à quelques centimètres l'un de l'autre. De sa bouche tremblante, Vittoria lui colla deux baisers humides sur chacune de ses joues. « Charlie...mio dio... Je devais venir le chercher quand... quand... Et je l'ai cherché toute la nuit. » Sa voix s'étrangla avant même que les mots eussent franchi le seuil de ses lèvres. Holden était seul, lui aussi. Leur fils n'était pas avec lui. Il restait introuvable, perdu dans l'immensité de la ville états-unienne... Pire qu'Alice dans le labyrinthe. Un poids immense s'abattit sur ses épaules, et la panique raffermit son emprise quand celle des bras de Holden autour d'elle se desserrait lentement. « Tu es sûr qu'on ne devrait pas vérifier à l'intérieur ? Juste pour être sûrs ? » Les yeux sombres de Vittoria continuaient de se tourner sans cesse vers les fenêtres éclatées de l'école déserte. Elle n'avait jamais connu la voix de Holden aussi hésitante, aussi incertaine, lui qui avait toujours été son roc. De le voir dans cet état révulsait ses entrailles déjà en vrac. En d'autres circonstances, sûrement la maman qu'elle était aurait pris le dessus, aurait consacré de longues heures à vociférer et pester contre l'incompétence des enseignants, l'indifférence des bureaucrates déconnectés de la réalité, l'inconséquence enfin des services publics face aux alertes répétées des climatologues... Mais aujourd'hui, ils ne coûtaient pas simplement un A+ sur le bulletin scolaire de Charlie... ils lui coûteraient son existence toute entière, et sa maman désœuvrée, suspendue au corps de son ancien mari tel un naufragé à sa bouée, les haïssait tous en silence. « Je dois y aller Holden. Je dois essayer, » dit-elle d'une voix chevrotante. « Au moins essayer de trouver le plan d'évacuation... un indice d'où ils ont pu aller. » Une fois germée entre ses synapses, il s'avérait fort compliqué d'arracher une idée du crâne de Vittoria. Le sang qui bouillonnait dans ses veines parvint à ses muscles, les activa un à un, et l'italienne gravit les marches du perron, avant de s'engouffrer entre les deux portes massives de l'entrée, laissées béantes par les vagues violentes qui avaient secoué le voisinage. Quelques cartables détrempés, les cadavres de manteau abandonnés, de peluches lâchées dans le tumulte, gisaient sur le sol carrelé où glissait encore quelques bons centimètres d'eau. Le silence régnait, encore plus assourdissant qu'à l'extérieur.

Le soulagement déferle sur lui comme les vagues sur la ville. Il plonge sur elle et s’accroche à son corps si menu entre ses bras comme à une bouée de sauvetage – ce qu’elle est, ce qu’elle a toujours été et ce qu’elle sera probablement toujours. Il a conscience de l’absence de Charlie à ses côtés, a conscience que ça devrait suffire à le ramener sur terre et à faire s’emballer de nouveau son cœur d’une inquiétude sourde mais il y est indifférent parce que Vittoria est entre ses bras et que c’est déjà ça. C’est le plus important (et sans doute qu’une once de culpabilité viendra le frapper quand ils auront enfin retrouvé leur fils et que le gosse cherchera réconfort et sécurité dans leur étreinte). Il a les mains sur les épaules de Vitto, le cœur qui chavire et l’estomac qui menace de se vider à mesure qu’il sent la panique grandir dans sa voix. « Hey, hey, hey, ça va aller. Ça va aller. » C’est tout ce qu’il parvient à souffler, à répéter d’une voix cassée et vacillante parce qu’il n’y croit lui-même qu’à moitié mais il n’a pas le choix. Il voudrait la rassurer mieux que ça mais il n’en a jamais été capable, Fitz.
Parce que les mots, il n’a jamais été foutu de les trouver.
Alors il affirme d’autres choses, des mots qu’il espère suffisants pour calmer les angoisses naissantes et les crises d’hystérie qu’il peut deviner mais Vittoria, elle s’entête et il retient un soupir. Il n’en sait rien et c’est ce qu’il voudrait lui crier, là. Lui admettre qu’il en a aucune idée mais qu’il espère bien que les enseignants ont pris la bonne décision en évacuant parce qu’il est certain qu’il ne survivra pas à une perte supplémentaire. Surtout pas aujourd’hui. « S’ils étaient encore à l’intérieur ils en seraient sortis depuis le temps. » Il essaie de raisonner mais elle s’éloigne déjà de lui, laisse un vent froid frapper son corps trempé et il ferme les yeux. Elle est bornée, Vittoria – il a longtemps cru que c’était ce qu’il aimait tant chez elle. Sa force de caractère, ses inébranlables certitudes et ses positions campées, les poings sur les hanches et le nez relevé. Il crache un juron à l’attention de personne en particulier, tourne les talons pour la rejoindre prestement, les jambes pourtant entravées par l’eau. Une lumière grésille au plafond, donnant un côté horrifique à l’atmosphère déjà rendue pesante. Les clapotis de l’eau brisent le silence qui s’est instauré et Fitz, il ferme les yeux une partie du trajet parce qu’il a la poitrine qui se serre et un besoin urgent de s’isoler. Il va à l’encontre de ce que son corps lui dicte, pousse les muscles à faire un pas après l’autre dans le sillage de son ex-femme jusqu’à ce qu’ils atteignent la salle de classe de Charlie. La porte est ouverte, quasiment sortie de ses gonds et les tables, pour celles qui sont encore dans la salle, sont retournées ou flottent à la surface. Il reconnaît le blouson de son fils parmi les affaires qui restent et il détourne le regard. Ravale la bile qui voudrait lui échapper. « Vitto… » Il a le blouson entre ses doigts, un regard suppliant en direction de celle qui a partagé trop de ses crises. Il aurait préféré ne pas attirer son attention sur le vêtement ; il le lui tend pourtant, quitte la salle précipitamment pour retrouver le couloir, la tête reposant contre un mur proche, les paupières baissées. Son poing cogne le placo, une fois, deux fois jusqu’à ce qu’il se reprenne finalement, les larmes dans la gorge. Il reste immobile, le sang juchant les articulations de sa main d’avoir frappé. « T’as trouvé quelque chose ? » Il attend l’affirmation – parce qu’il ne veut pas rester ici plus longtemps, qu’il veut s’enfuir le plus loin possible avant qu’ils ne découvrent quelque chose de plus glaçant que des vêtements abandonnés. Et c’est dans le silence qui est revenu qu’il lui semble discerner quelques voix étouffées, comme bloquées par des portes ou des murs et il fait signe à Vittoria de ne plus bouger pour se concentrer. « T’entends ? » L’espoir revient, vif, tandis qu’il se dirige vers l’origine des bruits, vers des portes tenues fermées par les décombres des meubles. Une classe, sûrement, ou peut-être l’école entière et il y croit, Fitz, pendant deux secondes. Jusqu’à ce que, le bureau repoussé dans l’eau et la porte ouverte, il ne s’aperçoive que parmi les visages éclairés, soulagés, terrifiés et frigorifiés, il manque encore celui de Charlie. Une classe, oui. Mais pas la bonne.