nee — feeling good {psychiatric ward}

Rien n'allait plus dans la vie pourtant normale du flic. Depuis quelques jours, en convalescence forcée sur son bateau, le patrouilleur tournait en rond comme un lion en cage, passant ses journées à broyer du noir et à ressasser sans cesse de récents mauvais souvenirs. Alors même qu'il pensait avoir atteint le fond du gouffre, Lee ne cessait de s'enfoncer de plus en plus chaque jour, ne cherchant même plus à inverser la tendance de la spirale infernale dans laquelle il était tombé. Il ne voyait plus personne, n'avait aucune interaction sociale dans la vie à part celle du marchand de liqueurs et de tabac proche de la marina qu'il voyait parfois plusieurs fois par jour sans lui adresser la moindre parole superflue. Alcool et tabac à volonté, doublé de médicaments pour soulager sa douleur, rien de tel pour achever un homme déjà au tapis. Il lui arrivait même de sortir, mais ce n'était aucunement pour se distraire, mais bel et bien pour écumer les bars jusqu'à leur fermeture, ne pipant mot. La veille avait été le soir de trop, ou après avoir bu plus que de raison, Harper s'était retrouvé dans une bagarre d'ivrognes. Heureusement pour lui, le patrouilleur avait été séparé par deux de ses collègues qui crurent bon l'emmener à l'hôpital le plus proche, étant donné son état d'ébriété et de dégénérescence avancé. Peut-être leur avait-il sauvé la vie ce soir là.

Toujours était-il que les médecins du Mercy avait décidé de le garder sous observation pendant quelques jours, tout d'abord pour soigner son épaule meurtrie, s'assurant de sa présence aux nombreuses séances de rééducation, mais également pour surveiller son état psychiatrique, le flic étant diagnostiqué à son insu de dépression nerveuse. Harper s'était réveillé le lendemain dans une piaule qu'il ne connaissait pas, avait rencontré un médecin qu'il avait envoyé balader avant de se rendre compte qu'il avait été placé sous bonne surveillance dans l'aile psychiatrique de l'hôpital, aile dont les accès étaient verrouillés et dont il ne pouvait sortir. La raison officielle était que les chambres de l'établissement étaient pleines mais le flic en doutait sérieusement, sa paranoïa étant quelque peu à fleur de peau depuis qu'il avait trouvé la mère de son enfant au lit avec un autre. Toujours était-il que Lee déambulait dans les longs couloirs glauques et aseptisés de l'hôpital, essayant de trouver une issue qui lui permettrait de rejoindre son bateau, tâchant par la même occasion de taxer une clope. Peine perdue. A peine avait-il demandé à un patient visiblement déséquilibré qu'il fut intercepté par une femme appartenant visiblement au personnel soignant de la boutique.  « Ah non mas je vous arrête tout de suite ! » fit-il en l'arrêtant d'un geste du bras en bougonnant.  « Vous allez probablement ne pas me croire mais je ne suis pas un de ces tarés qui se prend pour Elvis où qui croit avoir été enlevé par des petits hommes gris. J'suis flic. »Harper fit une pause, fronçant les sourcils en dévisageant son interlocutrice.  « Ok, je vous l'accorde, c'est peut-être ce que dirait un de vos tarés dans cette situation. Mais je l'suis pas. Je cherchais juste à taxer une clope. Vous auriez pas une cigarette par hasard ? Faut que j'aille me calmer les nerfs où je vais envoyer le black qui se prend pour Marilyn Monroe et qui me suit depuis tout à l'heure en soins intensifs. » dit-il en pointant du doigt un patient visiblement dérange à l'autre bout de l'aile qui les dévisageait.  « S'il vous plait ?! » se hasarda-t-il enfin pour achever de la convaincre.

 « Ah merde... » furent les seuls mots qui franchirent ses lèvres à l'évocation du pedigree de Marilyn. Mais Harper ne put s'empêcher de réprimer un petit rire sincère en réponse aux paroles de la jeune doctoresse ou interne. Il marqua tout d'abord un temps d'arrêt, se surprenant lui-même de se dire qu'il n'avait pas ri depuis quelques temps et qu'après tout, cela lui faisait du bien.   « Ah. Je vois que vous avez rencontré la partie la plus présentable de moi aujourd'hui. » sourit-il en essayant de se contorsionner avec son bras meurtri pour admirer la fente béante de sa blouse.  « Sans déconner, ça doit faire un demi-siècle que les gens doivent vous demander de changer de modèle de blouse, qu'est-ce que vous n'avez pas compris au juste ? Je crois d'ailleurs que Marilyn en a après ça aussi, alors si jamais je suis enfermé ici -et pitié, ne me dites pas que c'est le cas- j'espère qu'on peut fermer sa porte la nuit. » Il ne tenait absolument pas à voir la virginité de son postérieur ainsi que sa dignité s'envoler, saisis par un monsieur madame passablement dérangé. Poussant péniblement sa perfusion à bouts de bras, il la suivait docilement, déambulant à travers les couloirs de l'immeuble.  « Vous êtes un ange. Vous l'savez ça ? On doit vous le dire souvent. »essayait-il de se la mettre dans la poche.  « Vous savez quoi ? Pour vous prouver que je suis sain d'esprit, je vous promets que je n'essaierai même pas de me faire la malle une fois qu'on sera dehors et que vous m'en aurez donné une ... » Le flic avait beau être un sale con, parfois manipulateur et menteur mais c'était à ses heures perdues un homme de parole et il tenait à prouver à la jeune femme qu'elle pouvait lui faire confiance. Après tout, elle allait lui enlever une sacrée épine du pied. Mais alors qu'ils semblaient proches d'une semi-liberté apparente, l'idée qu'elle aussi était peut-être une folle lui traversa l'esprit. Des scènes de Shutter Island lui revinrent à l'esprit.  « Hormis le fait que vous ne soyez pas en blouse, ce qui n'est pas juste cela dit, qu'est ce qui me prouve que vous n'êtes pas folle vous aussi ? » La question méritait d'être posée après tout. C'était un cauchemar ...