Every breath you take > Lee

Malgré ce qu'on pouvait croire, ce n'était pas en Afghanistan ou en Irak que l'ancien militaire avait passé les plus mauvais jours de sa vie. Loin des champs de bataille, c'était bel et bien ici, sur le sol américain et dans la ville de Floride qu'il avait passé ce qu'il pensait être la plus mauvaise passe de sa vie. Blessé y a moins de trois semaines, dans le coma pendant deux, tout ça pour se réveiller et retrouver celle qui portait son enfant partager son lit avec un autre. Il ne lui en avait pas beaucoup fallu pour le quadragénaire parte littéralement en vrille, profitant de sa convalescence pour entrer dans une spirale infernale, doublant sa consommation de cigarettes, buvant plus que de raison, s'isolant sur son yacht et sombrant dans diverses rechutes dues à un stress post-traumatique mal soigné. Le sudiste ne prêtait aucune attention à l'image qu'il renvoyait, ne sachant plus quand est-ce qu'il s'était changé et dégageant une vilaine odeur de tabac froid. Aujourd'hui, il s'était réveillé en début d'après-midi sur le sol de son bateau, ayant probablement sombré la veille suite à une consommation trop importante d'alcool. Au moins, cela lui évitait les insomnies. Mais cet après-midi, toujours passablement mû par une colère noire qui le rongeait, Harper ressentait le besoin de se défouler. Le sport lui était interdit, étant donné son bras invalide, aussi décida-t-il de faire un petit saut au stand de tir pour passer ses nerfs sur une cible en papier plutôt qu'un être humain. Sa soirée, quant à elle, ressemblerait probablement à celle de la veille.

Passant la lourde porte du pas de tir, le flic s'arrêta saluer le propriétaire, qu'il avait rencontré à l'association locale des vétérans.  « Putain, Lee, t'as une sale gueule .. tu t'es mangé un bus ou quoi? » Harper sourit à la remarque.  « Salut Billy, toi aussi tu m'as manqué. T'inquiètes, trois fois rien, un petit souci au boulot. Tu me mets trois boîtes de 7,62 et du .45 s'il t'en reste ? Merci ! » Le propriétaire de la salle connaissait le sudiste, et savait que parfois il ne fallait pas poser de questions, se contentant d'acquiescer en silence. Il revint quelques minutes plus tard, posant les différentes boîtes sur le comptoir, juste le temps que l'ancien militaire ne passe difficilement ses bouchons d'oreille et ses lunettes sur le nez.  « Ca t'ennuierait de me filer un coup de main ? » demande-t-il d'un sourire à moitié amusé et gêné en lançant un coup de menton vers son écharpe.

Le stand était quasiment vide en ce début de soirée et il avait reconnu quelques rares habitués, mais alors qu'il se dirigeait vers sa place, Lee remarqua une silhouette familière, le déridant enfin pour de bon. Se dirigeant vers elle pour la saluer, Harper posa la mallette contenant ses armes à ses pieds et se tint derrière Ana, observant ses tirs, son bras valide posé contre sa hanche.  « Votre groupement s'est amélioré. » constate-t-il simplement alors qu'il attend qu'elle ait vidé son chargeur pour ne pas la surprendre durant son tir.  « Pardon, je ne voulais pas vous effrayer. » s'excuse-t-il platement, alors que la jeune femme se retournait vers lui, essayant un sourire peu assuré. L'ours mal léché semblait s'être transformé en véritable chien errant, vu sa dégaine.

La relation que le patrouilleur entretenait avec la propriétaire d'A.A. Bakery était bien plus qu'une simple relation client / vendeur. Rétrogradé au sein des forces de patrouilles de Miami, le flic avait repris goût aux petites pauses soudaines auprès des commerçants de ses zones de travail, excellent moyen pour récupérer quelques petits renseignements et de sonder l'atmosphère générale d'un quartier. De plus, cela permettait de laisser l'image d'une police vivante et à l'écoute des citoyens qu'elle était chargée de protéger. Pour autant, Lee appréciait réellement les patisseries de la jeune femme, et s'y arrêtait souvent pour prendre un des nombreux cafés de sa patrouille. A force, il avait fini par faire parti des clients réguliers de l'établissement, et il n'était pas rare que le sudiste prenne quelques minutes de sa pause pour discuter un petit peu avec Ana, dont il ne connaissait que le prénom. Quelle ne fut pas sa surprise de l'époque de la retrouver quelques jours plus tard dans le même stand de tir ou il avait ses habitudes. Visiblement, les deux adultes semblaient apprécier de passer un peu de temps ensemble, Lee se permettant même de lui donner quelques coups de pouce au stand pour s'améliorer.

 « C'est mérité. » assure-t-il avec un sourire sincère, ce dernier lui blessant presque les lèvres tant il tirait la gueule depuis ces derniers jours.  « Oh, ça ? » demanda-t-il benoîtement en essayant de lever son bras gauche.  « Trois fois rien, deux trois broutilles au boulot qui m'ont valu un séjour forcé à l'hôpital. Je dois dire que vos patisseries ont manqué là-bas. » confesse-t-il avec légereté. Cela lui faisait un bien fou de sourire un petit peu, et même s'il ne s'attendait pas à tomber sur la patissière, il fut ravi de la trouver ici, apportant un petit rayon de soleil dans la journée du patrouilleur mal luné. Se baissant pour attraper sa mallette, il décida de changer ses plans pour venir s'installer sur le pas à côté de celui de la jeune femme. S'absentant quelques instants pour aller chercher ses munitions, il revint rapidement et commença à déballer son matériel et deux armes. La première, un fusil à l'air particulièrement ancien, M14 ayant appartenu à son père lors de son déploiement au Vietnam, la deuxième, un colt modèle 1911, arme emblématique et mythique bien connue des américains.  « Dure journée? » se hasarde-t-il alors qu'il galère à gréer les chargeurs de leurs munitions avec qu'une seule main disponible.  « Désolé, je ne voulais pas vous déranger. » Après tout, lui-même venait ici pour se changer les idées, pas pour tailler le bout de gras.

Harper avait été surpris par la proposition de la pâtissière et ne put empêcher ses yeux de regarder l'accoutrement qu'il portait. Un sourire gêné étira le bas de son visage tandis qu'un regard du même acabit croisait celui de la jeune femme.  « Je ne suis pas sûr d'avoir la bonne tenue pour vous accompagner au restaurant ... » confessa-t-il en regardant ses guenilles, ne se rappelant même plus à quand datait sa dernière douche. Il fallait avoir un bon fond et du cœur pour omettre ce genre de détail. Il se laissait complètement aller depuis ces derniers jours, n'étant plus que l'ombre de lui-même.  « Mais je peux peut-être vous proposer d'aller boire un verre après tout ça si je ne vous fais pas trop honte. Je ne vous en voudrais pas.» crut-il bon d'ajouter, le pensant sincèrement. Il ne comprenait pas vraiment ce qu'elle lui trouvait en ce moment précis, peut-être n'était simplement que de la pitié. Mais Ana avait un don certain pour s'assurer la sympathie des gens qu'elle croisait, et peut-être était-ce là une des raisons de son succès, hormis un talent certain pour la pâtisserie. Elle avait su le mettre à l'aise et oublier pendant quelques courts instants les problèmes qui le tracassaient. Aussi ne montra-t-il aucune objection lorsqu'elle lui demanda s'il pouvait lui montrer ses armes, opinant du chef avec un grand sourire en guise de oui.

 « Va pour le tutoiement. Je ne voulais pas paraître trop insistant. » Il n'en avait peut-être pas l'air sous ses traits de vieil ours bougon, mais les parents de Lee avaient toujours été à cheval sur l'étiquette, transmettant les bonnes manières à leur progéniture.  « Ca va. » assure-t-il avec un sourire peu convaincant, n'aimant pas trop parler de lui.  « Merci pour le coup de main. » Son épaule le tiraillait, d'autant plus que l'une de ses plaies s'était rouverte suite à l'altercation qu'il avait eu avec le pompier britannique. Il ne souffrait pas le martyre, mais une gêne permanente l'habitait, tandis que les douleurs refaisaient surface de temps à autre. Le fusil posé sur la table, Lee comptait tirer avec de dernier assis, n'ayant besoin que d'une épaule et d'une main tant que l'arme reposait sur une surface stable, ici deux petits sacs de sables prévus à cet effet.  « Installez-vous, je vous montre tout ça. » la rassure-t-il avec un sourire.  « Vaut mieux que vous commenciez assise, c'est pas le même poids que la vôtre. Bon, laissez-moi vous présenter votre futur meilleur ami. Je vous présente le M14, fusil semi-automatique et prédécesseur du mondialement connu M16. Calibre 7,62 x 51 mm, de quoi traverser aisément une paroi de bois où un mur de brique. Arme très fiable, son seul défaut étant peut-être son poids, presque 5 kilos en ordre de marche, rédhibitoire pour certains. Enclenchez le chargeur comme ceci, voilà, et tirez le levier d'armement en arrière. Effacez la sûreté comme ça et .. vous voilà prête. Quand vous voulez. Vous avez juste à presser doucement la queue de détente et à vous laisser surprendre par le départ du coup.» avait-il soufflé à son oreille avant de se retirer en arrière, lui laissant toute liberté pour faire feu à sa guise.