take a break — (evelyn)

Penchée sur le plan de travail incliné de son bureau d’architecte, la brune se redresse et fait craquer sa nuque avant de s’étirer le dos. Deux doigts passés sur ses tempes tout en se rappelant le réveil confus et mouvementé qu’elle a subi ce matin. N’ayant pas vu les heures passer la veille alors qu’elle rendait visite à Miles pour discuter de son dossier et de l’avancée des enquêtes lancées ça et là par son père, Evy s’était endormie dans son divan. En ouvrant les yeux, elle se redresse brutalement, comme extirpée d’un mauvais rêve, envoie valser quelques feuilles par terre et met quelques minutes à réaliser où elle se trouve. Une fois le plaid —qui avait été  posé sur elle— rangé, elle s’apprête à sortir de l’appartement comme une voleuse, c’était sans compter sur Miles qui préparait le café dans la cuisine. Quelques phrases, courtes et vides de sens, cherchant à prendre la fuite sauve qui peut, inventant des excuses et regagnant son domicile le plus vite possible, à six heures du matin. Ce n’était pas faute d’avoir essayé de se rendormir pour deux petites heures encore mais rien n’y faisait, impossible de retrouver le sommeil. L’architecte en profita pour étudier le dossier tout frais de Hera et de se pencher sur ses demandes. Exigeante et ferme, indécalable sur certaines positions, la chef de l’hôpital n’était pas des clientes les plus faciles et pourtant, Fox se fait une joie de traiter avec elle. De croquis en croquis, d’inspirations en inspirations, d’idées innovantes en idées impossibles à réaliser, les heures passent sans sembler avoir d’effet sur l’indépendante, que son travail a toujours passionné. Son coeur a fait un léger sursaut dans sa poitrine lorsqu’elle avait reçu le message de son frère l’invitant à manger un bout ensemble. Surprise et émue à la fois, ignorant jusqu’alors que c’était tout ce dont elle avait besoin : une discussion légère avec son sang. Derek et Evelyn sont des Fox qui se sont toujours compris sans se parler, et à présent, il est celui dont elle est le plus proche, retrouvant tant de part de James en lui. Les affinités fraternelles ne sont jamais des plus simples, chacun se façonne et apprend à vivre en symbiose. Ce serait se mentir que de se dire que la tête de mule de l’équipe ne lui manque pas. Et pourtant il avait fallu que ce soit lui qui fasse le premier pas pour qu’elle s’en rende compte. Il est loin ce temps où Evelyn portait ce rôle de grande soeur parfaite, soutenante, pleine d’empathie, prête à panser les maux sans avoir besoin d’explications, à pardonner avant d’avoir fauté. Et c’est peut-être là que le choc fut le plus dur : cet instant où elle fut propulsée au rôle d’ainée, portant le poids invisibles des responsabilités. Bien évidemment, aucun de ses frères et soeurs ne désire le lui faire ressentir et pourtant, les faits sont là. Elle est supposée être la plus sage, la plus raisonnée, la plus disponible. Mais elle ne l’est pas. Elle ne l’est plus. Plus pour eux. Les parts d’elle qui ont été arrachées sont tellement importantes qu’elle s’oublie tout en se cherchant.

Happée par son travail —et pour une fois pas par l’affaire de justice de Miles—la brunette n’a pas vu le temps s’écouler. Le temps de s’en rendre compte, elle est déjà en retard —à nouveau un fait qui ne lui ressemble pas. Fort heureusement, son bureau se trouve dans le centre-ville et le choix de son cadet s’est porté sur un resto sympa non loin de là. Se précipitant soudain, Evelyn tronque son legging contre un jean boyfriend confortable, enfile un chemisier blanc et une ceinture en cuir brun, attrape son blazer et son sac dans la foulée, rechausse sa paire de baskets blanche et se hâte dans la rue jusqu’au resto de tacos. Elle le cherche en premier lieu sur la terrasse avant de l’apercevoir à travers la vitrine plus loin dans la salle. Il se lève quand il l’aperçoit et sa légère étreinte lui fait un bien fou. « Tu as bien fait de commencer sans moi, désolé pour le retard. » s’excuse-t-elle, bien qu’il ne s’agisse que de dix petites minutes. Elle prend place en face de lui, déposant son sac à ses pieds. Il ne faut pas longtemps pour que la première attaque lui parvienne. « Je sais… hum… désolé pour ça aussi. » Ses activités extra professionnelles n’étaient évidemment pas passé inaperçues aux yeux de ses proches, d’autant plus qu’elle avait impliqué leur père dans cette histoire et l’accaparait plus que possible. Mais comment pouvaient-ils la comprendre à ce sujet alors qu’elle taisait les raisons de tout cela et évitait la discussion à ce propos à chaque coup. « Je suis désolée, mais c’est une affaire délicate, tu comprends ? Je ne peux pas vous en dire plus. » Beaucoup trop de désolés en si peu de minutes. Elle sait ce qu’elle fait, Evy. Elle sait qu’elle les protège. Elle sait qu’autrement, certains d’entre eux seraient prêts à se battre comme elle. Elle sait que c’est risqué et que moins de monde il y a dans la barque, moins ils risquent de couler. La serveuse arrive, à qui elle commande un verre de vin rouge. Son attention se porte alors sur Derek. « Comment ça se passe à la caserne ? ça fait longtemps que tu ne m’en as plus parlé. L’entente avec Collins et Northwood est toujours bonne ? » demande-t-elle, réellement intéressée par le sujet.