six feet under / krisliam

help, i lost myself again but i remember you. don't come, it won't end well
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@kristen walcott

Il a la tête bourdonnante, les mots acérés de son père qui se répètent dans son crâne. Les mêmes mots que ceux de son enfance – les mêmes que ceux qui l’ont bercé des nuits et des jours durant. Il a pensé qu’il serait immunisé depuis le temps, que son père serait incapable de l’atteindre avec la même force que quand il avait douze ans ; force est de constater qu’il avait tort. Mâchoire contractée, le regard rivé sur l’océan qui est étendu à perte de vue, il inspire profondément. Ravale son envie de hurler parce qu’il s’est déjà défoulé physiquement en quittant l’hôpital. Parce qu’il a déjà frappé sur le sac de sable à la salle de sport, frappé jusqu’à ce que ses phalanges ne rougissent, jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus parce qu’il n’avait ni la tenue adéquate, ni les gants. Tu ne changeras jamais. Il ferme les yeux, les mains plongées dans les poches pour dissimuler les tremblements causés par l’adrénaline qui pulse encore dans ses veines, expire un souffle étranglé par des émotions qui ne semblent plus le quitter. Tu aurais dû être là, veiller sur elle. L’image de Léonie s’impose sous ses paupières et il les rouvre brutalement pour faire fuir l’angoisse qui menace de s’emparer de son cœur. Les clapotis de l’eau tranquille, à l’inverse de plusieurs jours plus tôt, quand le vent soufflait avec la même rage qu’il ressent actuellement, ne parviennent pas à l’apaiser et il finit par s’y arracher. Souffler du bout des lèvres, hésiter entre affronter la présence de ses parents dans son triplex ou bien trouver refuge au cabinet comme il l’a si souvent fait. Se plonger dans un nouveau dossier, exiger de Tina que personne ne le dérange et passer la soirée, la nuit s’il le faut, enfermé dans son bureau pour fuir les conversations qu’il craint et qui blessent. Tu ne penses qu’à toi. Il se pince le nez, voudrait faire taire les échos des reproches du patriarche Montgomery pour se concentrer mais il n’y parvient pas et il sait que ça ne passera pas – parce que ça n’est jamais passé, pas même après qu’il ait mis plusieurs milliers de kilomètres entre eux et pas même avec les années. Les reproches ont claqué dans les couloirs de l’hôpital pendant que les femmes de la famille étaient au chevet de Léonie, à pleurer de soulagement qu’elle aille bien malgré les circonstances, à prétendre qu’elles n’avaient pas conscience de la dispute qui avait lieu à quelques pas. La même depuis toujours – celle à laquelle elles ont arrêté de participer depuis longtemps, isolant William encore davantage. Il se détourne finalement complètement de la plage, reprend le chemin de la route, les pieds pourtant toujours enfoncés dans le sable devenu froid.

Il a sonné avant de se rendre compte de ce qu’il était en train de faire et il hésite à faire demi-tour avant que la porte ne s’ouvre. Il se doute qu’elle ne travaille pas – il ne l’a pas croisée à l’hôpital, non pas qu’il l’ait cherchée, pas vraiment en tout cas. Les pieds ancrés sur le perron, il ne parvient pas à se détourner de la porte, n’envisage même pas que ce soit Jack qui lui ouvre plutôt que Kristen et lorsque finalement, le visage de la chirurgienne apparaît dans l’encadrement de la porte, il s’aperçoit qu’il ne sait pas pourquoi il est venu. Il serait peut-être temps que tu cesses d’agir comme un gamin. Il esquisse un sourire en coin qu’il devine peu convaincant parce que le cœur n’y est pas mais prétendre est une seconde nature, pour lui alors il continue la mascarade. « Hey. » Il se passe une main dans les cheveux, tourne la tête une fraction de seconde pour poser le regard sur le voisinage calme. Même pas foutu d’avoir une seule relation stable. « Je suis désolé si je te dérange, je… » Il aurait pu appeler, sans doute qu’il aurait dû, même. Tout comme il aurait dû savoir où était Léonie, tout comme il aurait dû l’emmener il-ne-sait-pas-où et qu’il aurait dû lui éviter l’accident. « Je sais qu’on avait dit qu’on ne se verrait plus le soir mais… » Il s’interrompt à nouveau parce que les mots ne lui viennent plus et que c’est différent. Qu’il est différent. « J’avais juste… » Il relève les yeux, croise ceux de Kristen. J’ai juste besoin de toi. La constatation lui serre le cœur, l’oblige à fermer les yeux parce qu’il a l’impression de vaciller et la vague d’adrénaline qui lui permet de tenir depuis que le ton est monté à l’hôpital le quitte soudainement. Il se sent épuisé, les mains douloureuses. Faible. « Leonie a eu un accident, » souffle-t-il finalement parce que c’est tout ce qu’il parvient à admettre – parce que c’est ce qui a provoqué l’enchaînement. L’accident, l’appel des urgences, son propre appel à sa sœur qui promet de sauter dans le premier avion mais qui emmène les parents avec elle. Et puis les reproches, les mêmes, toujours. « J’aurai dû appeler mais je – je n’avais pas vraiment prévu de venir, j’avais juste besoin de m’aérer l’esprit et puis, » il retient un soupir en détournant le regard parce que Kristen, il n’est pas capable de lire ses émotions et il n’est pas certain de pouvoir encaisser un rejet, ce soir. « Et puis j’étais pas loin et je suis juste venu. » Parce que malgré tout, il l’estime ; parce qu’il le pensait quand il a affirmé qu’ils sont amis avant tout – et peut-être aussi parce qu’il sait qu’elle sera la seule à écouter, la seule à pouvoir calmer la foule de sentiments noués les uns aux autres et qu’il ne parvient pas à distinguer les uns des autres.

Les cris incessants du petit Noah lui font perdre l’esprit. Elle tente par tous les moyens de le calmer mais elle n’est pas sa mère et elle n’arrive à rien. Jack n’est pas encore rentré, Kris n’a aucune idée d’où il se trouve, elle a essayé de le joindre à plusieurs reprises, avec le même refrain qui sert de boîte vocale à son meilleur ami. Kristen elle n’a jamais été faite pour avoir des enfants, dès le début elle avait prévenu Ali et puis elle avait tenu Marissa dans les bras, l’instinct maternel, cette force de la nature. Elle ne se serait jamais cru capable d’aimer aussi fort un si petit être. Puis il y avait eu Sofia et maintenant Noah. La chirurgienne s’occupait de lui comme de son propre fils, essayant quelque part de rattraper les erreurs du passé. Son agacement se fait ressentir chez le nourrisson, il n’arrête pas de hurler, réclamant ses parents. La quarantenaire tente de reprendre ses esprits même si c’est compliqué ces derniers temps pour elle, Ali va se remarier et cette annonce lui a fait l’effet d’une bombe. Elle qui avait fini par penser qu’ils pourraient se redonner une chance, elle était tombée des nues une deuxième fois. Elle finit par se poser sur sa nacelle avec Noah, le balancement semble le calmer jusqu’à ce qu’il retrouve Morphée. Délicatement elle l’emmène jusqu’à son berceau, veillant à ne pas réveiller le petit bout même s’il dort à poings fermés. Soudain, la sonnette retentit, elle grimace en direction du berceau, elle prix pour que ça ne réveille pas son filleul avant de finalement s’inquiéter de ce qu’elle pourrait trouver derrière la porte. Will. Elle fait un léger mouvement de recul surprise de retrouver le procureur au pas de sa porte à une heure si tardive. Elle a peine le temps de dire quoique ce soit que son ami s’excuse de sa présence. Que fait-il ici ? Kris pensait lui avoir enfin échappé mais il faut croire que peu importe où elle va et ce qu’elle fait, Will sera toujours dans les parages. Elle ne peut s’empêcher de remarquer que quelque chose ne va pas. Il a le regard vide, il semble perdu, peu confiant, bien loin du William qu’elle a l’habitude de voir. Elle se revoit quelques mois auparavant lorsqu’elle avait cru avoir cassé sa carapace. Il lui dit que sa nièce a eu un accident — Oh mon dieu Will c’est horrible, est-ce qu’elle va bien ? lui demande-t-elle sincèrement inquiète pour Léonie. L’ancienne photographe l’avait croisée à plusieurs reprises, toujours le sourire aux lèvres, la jeune femme avait toujours été très polie avec elle. Il lui indique qu’il est venu jusqu’ici sans trop savoir pourquoi. Elle penche légèrement la tête, parce qu’elle trouve cette confession touchante. Elle est touchée que ce soit chez elle qu’il vienne trouver refuge. — Ne reste pas sur le perron, entre lui dit-elle en appuyant ses dires en ouvrant sa porte d’entrée. Elle le mène jusqu’à la cuisine en apposant un doigt sur sa bouche et en désignant le berceeau de Noah pour lui faire comprendre qu’elle voudrait éviter qu’il se réveille. Ni une ni deux, elle sort son plus vieux scotch et en sert un verre à son ami sans même lui demander son avis. A voir sa tête, il en a besoin et elle aussi. — Qu’est-ce qu’il s’est passé ? questionne-t-elle pour essayer de comprendre ce qui avait poussé son ancien amant à venir sonner à sa porte à une heure pareille.

Il lit la surprise dans le regard de Kristen et il détourne les yeux, incapable d’en lire davantage. Il peut deviner, de toute façon. Il n’a plus le droit de venir chez elle, pas aussi tard, peut-être même plus du tout mais il n’a pas réfléchi et il sait qu’elle attend un mot, une explication pour sa présence sur son perron et il n’a rien à lui donner. Des débuts de phrase qu’il est incapable de terminer parce qu’il y aurait trop à dire et qu’il ne sait pas par où commencer. Il ferme les yeux, William, et lâche finalement ce qui a été le déclencheur et la réaction de Kristen ne se fait pas attendre – il est touché de l’inquiétude qu’il perçoit dans le ton de sa voix, voudrait pouvoir la rassurer d’un sourire mais il n’en trouve pas la force. « Oui, ce n’était pas… » Aussi grave que ça aurait pu l’être, mais il retient les mots parce que ce sont ceux qu’il a prononcé à son père. Ceux qui ont ouvert les vannes de sa responsabilité, de son inaptitude à tenir une promesse. Elle est dans un lit d’hôpital et c’est de sa faute. « Elle va bien, quelques côtes fracturées mais à priori pas de commotion cérébrale, » reprend-il plutôt en essayant d’esquisser l’ombre d’un sourire. Ça aurait pu être pire, c’est ce qu’ont dit les médecins et infirmières. Et s’ils la gardent encore deux jours, c’est pour s’assurer que rien ne leur aurait échappé lors des premiers examens. Il faut que quelqu’un meurt pour que tu arrêtes de ne penser qu’à toi ? Il pénètre dans le couloir à la suite de Kristen, la suite jusque dans la cuisine, le regard se déposant sur le berceau de Noah et il sent une nouvelle vague de malaise déferler. « Je suis désolé, je… J’avais oublié que… » Qu’elle s’occupait du fils de Jack quand celui-ci n’était pas à la maison. Qu’il y avait un jeune enfant et qu’il ne pouvait pas se permettre de débarquer à l’improviste – peu importe sa raison. Il est prêt à lui dire qu’il ferait mieux de rentrer (parce que c’est la vérité et une partie de lui en a terriblement conscience) mais elle sort une bouteille de scotch et, en toute honnêteté, il n’a aucune envie de rentrer, alors il accepte le verre qu’elle lui sert et il s’installe sur une chaise. Il plonge le regard dans le liquide ambré, essaie de remettre de l’ordre dans ses idées en vrac. « Je devais récupérer Leonie à l’université dans la matinée. J’ai oublié. » Arrête de mentir William et assume, comme un homme. « C’est pas vrai, » qu’il se corrige presqu’aussitôt, les mots du patriarche Montgomery plus présents dans son crâne que jamais. « Un client est arrivé, j’aurai pu le diriger vers un de mes collègues mais c’est un bon client, un bon dossier et… » Un soupire s’extirpe de ses lèvres, il se passe une main sur le visage puis dans les cheveux. « Et j’ai prévenu Leonie que je pourrai pas être là à l’heure et je lui ai dis de prendre un taxi. Ce qu’elle a fait. Sauf qu’il y a des travaux sur Roosevelt et que ça a détraqué l’électricité. Dont les feus de signalisation. » Il a un sourire amer, William, quand il porte le verre à ses lèvres. Parce qu’il a conscience de l’ironie de la situation : qu’il ne peut même pas passer sa frustration dans un procès parce qu’il n’y a personne à accuser, si ce n’est la ville et ses foutus travaux. Et lui, il a choisi de bosser pour la ville, il a choisi de défendre la ville alors il ne peut rien dire. Rien faire. Ce ne serait pas arrivé si t’étais allé la chercher. Il tourne la tête, les yeux se posent une nouvelle fois sur le berceau de Noah et il a la gorge qui se bloque, l’impression que le monde a cessé de tourner. « J’ai appelé ma sœur, elle est venue. Elle a trouvé intelligent d’emmener nos parents avec elle. » Un autre sourire amer pour une autre gorgée. Il ne se souvient plus s’il a déjà parlé de sa relation avec son père à Kristen, s’il lui a déjà évoqué la déception constante qu’il est pour celui qu’il aurait voulu rendre fier, ne serait-ce qu’une brève seconde.

Kristen est inquiète, elle n’a jamais vu William ainsi. Elle se doute que s’il est venu jusque ici c’est pour trouver une épaule rassurante. Une amie, comme ils ont pu l’être avant que leur relation ne dégénère ? S’améliore ? Tout dépend du point de vue de la personne. Will l’a rassure sur l’état de sa nièce alors qu’elle avait apposé une main sur son coeur par compassion, elle l’a fait redescendre doucement lorsqu’il lui indique qu’elle n’a que quelques côtes fracturées. — C’est rassurant, même si elle risque d’avoir des douleurs pendant deux mois, elle n’a pas de lésions irréversibles et c’est tout ce qui compte. dit-elle en connaissance de cause. Alors qu’ils se rendent dans la cuisine, le substitut s’excuse d’avoir oublié qu’elle s’occupait de Noah. — C’est rien, Jack ne devrait pas tarder à rentrer. dit-elle sans vraiment savoir s’il allait daigner se montrer ce soir ou demain matin … Les choses n’allaient pas mieux entre eux mais Kristen s’efforçait d’être là pour son neveu parce qu’elle était déjà passé par une mauvaise passe et à cet instant, elle s’était reposé sur Ali. Quelque part, elle se sentait moins coupable d’avoir abandonné Sofia lors de la première année de sa vie en s’occupant de Noah. Ils s’installent à la table de la cuisine, Scotch en main, Kristen est prête à être l’oreille attentive qu’elle a toujours été pour Will et inversement. Les choses ont changé mais ce soir, elle n’a pas envie d’être distante. Il a besoin d’elle et malgré tout ce qu’il s’est passé entre eux, elle ne peut pas se résoudre à le mettre à la porte ou moment où il semble avoir le plus besoin d’elle. Le quarantenaire commence son récit, il dit à Kristen qu’il aurait dû aller chercher Léonie, mentionnant qu’il avait oublié avant de se rétracter et de lui avouer qu’un client important était arrivé. Elle l’écoute, n’émet aucun jugement parce qu’elle est comme lui, le travail ne passe pas avant tout mais ça occupe une grande partie de leur vie quitte à parfois commettre des impaires. Il lui explique que ce sont les feux de signalisation qui n’ont pas fonctionné avant de terminer par le fait que sa soeur avait emmené leurs parents avec elle. La chirurgienne n’a que très peu entendu parler du père de Will mais de ce qu’elle a compris, à ses yeux son fils ne serait jamais assez bien pour lui. — Will … tu n’y es pour rien et tu le sais ! C’était un accident et tu aurais pu passer par là toi aussi. On ne peut pas refaire les choses et ce n’est pas à toi que je vais expliquer ça. tente-t-elle de le rassurer. Elle appose une main sur la sienne en guise de compassion. Ce geste est naturel, à tel point qu’aucun des deux ne s’en rend compte. — C’est parce que ton père t’a fait une remarque que tu es dans tous ces états et que tu commences à douter de toi ? à priori monsieur Montgomery semblait être le seul à désarçonner le substitut. — Léonie va bien et je suis sûre qu’elle ne t’en veut pas et c’est le principal, non ? dit-elle en essayant de le consoler. Certes elle comprenait qu’il s’en veuille mais il n’y était absolument pour rien, un malheureux coup du hasard que personne ne pouvait prédire.

Il la suit, il l’écoute et, plus que ça, il la croit. Et il ne la croit pas uniquement à cause de son métier, il ne la croit pas parce qu’elle a ce ton rempli de certitudes, parce qu’il sait qu’il peut lui faire confiance – non, il la croit parce qu’il a besoin de la croire et qu’il la connait. Kristen, elle n’enroberait pas la réalité de mensonges édulcorés, de mots pesés et réfléchis à l’avance – ça, c’est ce qu’il fait, lui. Kristen, elle ne manipule pas les mots de la même façon que lui, elle ne les contourne pas pour les utiliser à son avantage ; alors William, il ne peut que la croire, lui faire confiance quand elle se veut (il le pense, du moins) rassurante. Il opine à peine, son intention de rajouter quelque chose, ne serait-ce qu’un remerciement, envolée à l’instant où elle rappelle Jack qu’il n’a pas vu depuis des semaines, avec qui il n’a pas échangé plus de quelques mots depuis ce qui semble être une éternité. Il a les lèvres qui se pincent légèrement, William, peu désireux que Jack puisse être témoin de cet instant de faiblesse (et pourtant, il sait qu’il n’a pas la force de lutter, encore moins de prétendre qu’il n’a pas été affecté par l’échange houleux avec le patriarche Montgomery). S’il n’a jamais rien eu contre l’autre médecin, il sait aussi que leur amitié est basée sur une compétition de frat boys, qu’elle est fragile et il ne compte pas lui donner de munitions. Alors il se tait, une nouvelle fois. Parce que c’est ça ou trouver une excuse pour partir avant que Jack ne rentre, partir avant que les choses ne dégénèrent peut-être (sûrement parce que William, il sait que c’est là ce qu’il fait de mieux). Il se tait et il la suit jusqu’à la cuisine, récupère le verre de scotch après une infime hésitation, s’y plonge pendant quelques secondes pour essayer de formuler, au mieux, ce qu’il s’est passé. Les barrières s’abaissent, il avoue, le ton amer, la gorge sèche d’un dégoût ancien revenu avec la silhouette du père Montgomery. Tu blesses tout le monde parce que tu ne t’intéresses pas aux autres. Ses doigts voudraient se ventouser au verre et lui, il voudrait fermer le poing, hurler, cogner, faire quelque chose pour faire taire les réminiscences incessantes. Il lève un regard en direction de Kristen, à peine conscient de sa main posée sur la sienne, du contact de leurs peaux. La mâchoire se contracte à la mention du père, l’estomac se noue. « Il a raison. » Sourire défiguré, amertume dans la bouche, sensation de lâcheté. « J’aurai dû être avec elle, je lui avais promis que je serai là mais je. Je me concentre que sur moi et je blesse les gens. » La voix s’éteint brusquement, mais William, il ne détourne pas le regard. Il affronte, il attend les accusations qui auraient lieu d’être. « Elle aurait pu aller plus mal, elle aurait pu finir paraplégique ou pire et moi, je… Je sais pas comment je suis censé pouvoir la regarder ou regarder ma sœur dans les yeux en sachant que je les ai laissé tomber. » Il est lâche, William, et c’est pour ça qu’il a repris sur le sujet de Leonie. Un peu trop rapidement peut-être pour que ce soit complètement innocent. Pour que ça ne dissimule pas sa peur de perdre Kristen de façon définitive – et pourtant, il voudrait qu’elle l’accuse, qu’elle s’énerve contre lui, qu’elle soit celle qui donne raison à son père. Parce qu’il sait, William, qu’elle est l’une des rares à pouvoir l’obliger à réfléchir. Parce qu’elle a cette force sur lui qu’il ne s’explique pas totalement, qu’il préfère ne pas s’expliquer. Il a encore les mots échangés sur la plage qui lui reviennent, la conviction qu’elle avait mis dans ses dernières paroles – et il a compris l’impact qu’elle avait sur lui quand il s’est rendu compte qu’il n’avait eu aucune relation, aucune aventure depuis ce jour. « Je t’ai blessée, toi aussi et je… C’était la dernière de mes intentions. » Mais tout ce à quoi il est bon – blesser et décevoir.

Kristen n’avait jamais vu William ainsi. Il y avait eu des moments au cours de leurs quelques mois de fréquentation ou elle avait pu déceler l’homme qui se cachait derrière sa carapace de substitut mais elle ne l’avait jamais vu comme ça. Elle tente de le réconforter de lui dire que ce n’était qu’un accident et qu’il n’y était pour rien mais le quarantenaire semble reclus dans les remarques de son paternel, persuadé d’être responsable de ce qui venait de se produire. La chirurgienne comprenait qu’il s’en veuille, c’était un sentiment normal à ressentir à cet instant mais il n’avait pas à imaginer le pire ou à mentionner le fait que cet accident était pleinement de sa faute. — Will … tente-t-elle de dire, elle veut être rassurante, parce que c’est pour ça qu’il est venu ici ? Certainement. Pour quelle autre raison se serait-il retourné vers Kristen si ce n’est pour compter sur sa veille amie. Ils sont amis, il le lui avait suffisamment fait comprendre et même s’il y avait toujours cette petite voix dans sa tête qui restait persuadée que ça pouvait être plus que ça, Kris avait décidé de l’ignorer. C’était mieux pour elle. Le substitut continue sur sa lancée, imaginant le pire pour sa nièce. Face à ces déclarations, l’ancienne photographe retire sa main et adopte une position de recul, d’écoute car à cet instant précis, elle sait que ça ne sert à rien de le contredire. — Will, ce n’est pas de ta faute et rien de tout ça n’est arrivé … dit-elle dans un soupir ne sachant plus vraiment quels arguments il fallait sortir. — Tu as pris la décision d’aller à ce rendez-vous comme n’importe quel parent, oncle, tante aurait pu choisir d’accepter un rendez-vous professionnel au dernier moment. fait-elle remarquer. — Tu ne l’as pas laissée, bien au contraire tu t’es soucié d’elle en la prévenant. finit-elle par dire. C’était la seule chose qu’elle pouvait dire. Oui la situation n’était pas idéale mais il ne fallait pas qu’il se torture pour quelque chose qui n’est pas arrivé. Le regard de Will sombre dans le vide, il réfléchis. Quant à Kris, elle lui laisse le temps de reprendre ses esprits mais c’était sans compter sur ce retour à leur relation, au fait qu’il l’avait blessé. Elle ose à peine le regarder en face, se remémorant tous ces moments qu’elle avait passé ces dernières semaines à l’éviter. Elle ne peut pas s’enfuir face à cette déclaration. Elle est surprise, déconcertée qu’il lui dise cela ainsi. Sa tête bouillonne mais elle ne montre rien, elle reste calme, impassible comme dans sa salle d’opération. Son sourire apparait doucement sur son visage, c’est sa seule réponse. — Tu ne m’as pas blessée Will, tu as juste été honnête. dit-elle en affrontant son regard. Parce que c’était ce qu’il avait fait, tout du moins, c’était ce qui lui avait dit et elle ne pouvait pas le forcer à éprouver quelque chose pour elle.

Les mots de Kristen se fraient un passage jusqu’à son esprit et William, il souhaite qu’elle ait raison. Il voudrait pouvoir se convaincre qu’elle a raison, bien sûr qu’elle a raison, parce qu’elle le connaît – mais il sait que son père le connaît, que son père, même absent de sa vie depuis des dizaines d’années, il l’a vu et connu bien avant Kristen et une partie de lui est incapable de remettre la parole du patriarche en doute et ce, même s’il est la cause d’une estime de soi piteuse. Il laisse pourtant les mots de la chirurgienne venir s’imprégner en lui, s’y raccroche avec désespoir, le regard tourné vers un couloir obscur. Elle a cette tendresse qu’il n’est pas sûr de mériter, pas plus qu’il n’est certain de mériter l’empathie dont elle fait preuve à son égard. « C’est ce que tu dirais si c’était Sofia ? » C’est une mère, Kristen et peut-être qu’il craint surtout la réaction de sa sœur, bien plus que les mots de son père – même si ces derniers sont ceux qui jouent en boucle dans son crâne. Parce que sa sœur, il l’adore sincèrement et elle lui a fait confiance en laissant Leonie venir vivre chez lui – une confiance qu’il a trahie. Il inspire, ose finalement son aveu du bout des lèvres, les yeux légèrement tournés en direction de Kristen. Il capte le sourire dont elle se pare. Est-ce que l’un n’empêche pas l’autre ? voudrait-il lui demander mais il sait qu’il ne ferait que s’enfoncer. She deserves better. Il a le cœur qui cogne, le regard qui glisse sur son visage, les paroles qui lui reviennent. Il devrait dire quelque chose ; il devrait exprimer tout ce qu’il a passé sous silence durant ces semaines où elle l’a évité. A la place, il attrape le verre, descend une gorgée avant de faire tourner le liquide ambré. Il ne sait pas par où commencer. « Tu sais, je… Peut-être que tu avais raison, ce jour-là, à la plage. » Il baisse le regard dans son verre, les mots semblant le fuir à mesure qu’il les cherche. « C’est juste que, » qu’il n’en avait jamais vraiment eu envie, avant qu’il y ait cette étincelle entre Kris et lui, avant qu’il ne se rende compte qu’il n’avait pas envie de perde ce qu’il avait, ce qu’il y avait eu, entre elle et lui. Que c’est plus facile de se concentrer sur son boulot, sans personne pour lui en vouloir, de ne pas prendre le risque d’être blessé, aussi. « I screw up. Quand il s’agit de personnes à qui je tiens je… C’est automatique et je voulais pas prendre ce risque avec toi. » Il ne peut pas prendre ce risque avec Kristen.

Kris est l’oreille attentive dont Will a besoin ce soir. Elle l’écoute, elle le voit se morfondre comme jamais elle n’avait pu voir cette facette de sa personnalité. Ils ont échangé beaucoup de mots les quelques temps où ils se sont fréquentés, c’était plus que des relations d’un soir. Ils prenaient le temps de discuter, de se raconter leur journée avant de finir la soirée comme ils en avaient l’habitude. Le substitut si sûr de lui devant une cour semblait aujourd’hui désemparé face à son paternel. Kristen éprouvait une certaine compassion, Will avait été un ami très cher à ses yeux ces derniers temps et malgré tout ce qui avait pu être dit, elle ne pouvait s’empêcher de l’épauler. Elle connaissait le Will un peu plus fragile mais ce soir, elle ne l’avait jamais vu ainsi. La chirurgienne tente de le rassurer, bien souvent habitué à le faire avec ses patientes et leur mari, même si ce n’est pas exactement la même situation. Son ancien amant lui demande si elle aurait dit la même chose si ça avait été Sofia. — Bien sûr répond-t-elle du tac-o-tac sans même avoir besoin de réfléchir. — Je te connais et je sais pertinemment que tu es une bonne personne. Malheureusement, on ne peut rien faire contre le destin. finit-elle par dire. Il s’agissait d’un malheureux coup du hasard. Comme cela avait été le cas avec le cancer de Marissa. Kristen s’était pourtant demander pendant longtemps si un facteur ou l’un de ses gênes n’était pas responsable de la maladie de sa fille mais elle avait fini par en remettre ça au hasard. Il y avait des tragédies et parfois des fins plus belles. — Elle est en vie, c’est tout ce qui compte Will lui dit-elle pour ainsi lui rappeler qu’il y a pire de la vie et que les fins ne sont pas toutes heureuses comme elle en avait pu faire les frais. Il suffit parfois de montrer aux autres que leur vie n’est pas aussi terrible que la sienne pour leur faire comprendre que quelque chose de plus grave peut toujours arriver. Alors qu’elle lui indique qu’il ne l’a pas blessé mais qu’il a juste été honnête ce jour là sur la plage, Will descend d’un seul coup son verre de scotch visiblement tracassé par quelque chose et c’est après qu’il lance la bombe : peut-être qu’elle avait raison. Elle ne laisse rien paraître, elle est agrippée à son verre évitant de laisser transparaître toute émotion. Elle n’y croyait pas, n’y croyait plus. — Est ce que c’est Will ou les deux verres de scotch que tu viens de boire cul sec qui parlent ? lance-t-elle dans un petite sourire taquin même si au fond elle se demandait si ce n’était pas la situation et l’alcool qui le faisait parler. Il ne semblait pas sûr de lui. — Je t’ai pourtant tendu plusieurs perches ce jour là pour que tu me dises que tu ressentais la même chose, pourquoi maintenant ? elle tente de rester calme. De ne pas s’affoler parce que si elle avait écouter son coeur, elle n’aurait rien dit et elle l’aurait probablement embrasser sans réfléchir. Elle préférait prendre des pincettes avec Will, pour ne pas se retrouver blessée comme elle avait pu l’être il y a quelques temps. Et puis il y avait Ali et la nuit qu’ils avaient passée ensemble à San Francisco …

Elle n’hésite pas, Kristen ; ne laisse même pas un court silence s’installer qu’elle répond déjà et cette attitude si sûre d’elle oblige William à relever la tête, à l’observer un instant. Il ne l’aurait pas cru, n’aurait jamais pensé qu’elle puisse affirmer ces mots avec une telle conviction, pas à lui. Mais son regard la scrute et elle ne faiblit pas, invoque un destin auquel il n’est pas certain d’y avoir jamais cru et peut-être qu’elle parvient à lui insuffler un peu de sa propre confiance – ses yeux dérivent sur les murs de la cuisine, l’esprit légèrement plus apaisé. Qu’aurait-il pu y faire ? Il aurait emprunté la même route que le taxi, il aurait pu être cocky et s’engager au carrefour, être entraîné dans le même accident. Il n’aurait rien pu changer parce qu’il n’a pas ce pouvoir-là, malgré ce qu’il aime croire, malgré l’image qu’il diffuse au grand public ; il prétend, enfile un costume à chaque fois qu’il n’est pas dans le confort de son triplex (ou, comme à cet instant, avec Kristen, la seule personne en dehors de Leonie et de sa sœur à le connaître peut-être aussi intimement) mais il ne peut pas rester dans le contrôle, il ne peut pas tout prévoir et s’il n’en a pas toujours conscience, il arrive que ça le ronge. Comme ce soir. « Oui, elle l’est, » souffle-t-il, un maigre sourire sur les lèvres. Heureusement qu’elle l’est, heureusement que ce n’est pas plus grave, heureusement qu’en dehors du choc et de quelques fractures, elle aille bien. Il ne peut pas imaginer si ça n’avait pas été le cas. Le verre maintenant vide toujours à la main, il se livre un peu davantage, les mots ayant du mal à venir alors il s’oblige à aller les chercher. Il se force à les prononcer, de peur de perdre davantage de temps, de peur de creuser le fossé qui s’est déjà dessiné entre eux. Il roule des yeux exagérément, le coin des lèvres étiré même si le cœur n’y est pas complètement – elle doute et elle a toutes les raisons du monde de douter. Il lui a donné toutes les raisons du monde douter. « Come on, tu sais qu’il faut plus que deux verres pour m’embrouiller l’esprit. » Durant une fraction de secondes, il retrouve son air charmeur, cette lueur taquine dans le regard dont il se sert si souvent envers la gente féminine, le ton un peu plus léger malgré l’honnêteté brutale dont il vient peut-être de faire preuve. « Plusieurs perches ? De ce que je me souviens tu me fuyais et tu t’es fermée comme une huître à la minute où j’ai essayé de te parler. » Il pince les lèvres, conscient de passer à l’offensive dans un réflexe de défense et il n’a pas la force de se battre ce soir. « Tu avais l’air de m’en vouloir, je ne savais pas pourquoi et encore moins quoi faire. Et sur le moment, je voulais me convaincre que c’était préférable de pas être dans quelque chose de trop sérieux, de favoriser notre amitié plutôt que de risquer de tout perdre si jamais ça marchait pas. » Les mots ont du mal à sortir mais, il le réalise à mesure qu’il les prononcer, il les pense tous. Il s’est illusionné avec Kristen pour ne pas avoir à tirer un trait sur une amie précieuse, l’une des rares à oser le call out on his bullshit, quitte à se mentir, quitte à ne pas être totalement honnête envers elle non plus. Parce qu’elle est mieux, il en reste persuadé, et elle mérite mieux. Pourquoi maintenant, la véritable question encore sans réponse. Il lève le regard vers elle, essaie d’accrocher le sien. Because she’s stuck in his head. « Parce que j’ai réalisé que t’étais pas comme les autres et que je ne voulais, je ne veux pas, que tu le sois. » Il laisse ses mots planer entre eux, lourds de sens et d’émotions, des non-dits. « Il n’y a plus eu personne depuis. » Le silence qui retombe, le regard qui s’attarde. He might be too late.